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Comprendre le rôle de la continuité digitale

Jacques Bacry
5 mars 2023

Souvent perçue sous un angle uniquement IT, d’interconnexion de différents systèmes et plateformes métiers autour de data unifiées, la continuité digitale revêt pourtant une dimension profondément transformatrice.

Elle représente un vecteur très important de collaboration et un moyen de revoir les pratiques internes, au service de la stratégie globale de l’entreprise.


Depuis la pandémie mondiale en 2020, l’univers industriel subit une transformation protéiforme et doit s’adapter. Les décisionnaires et les clients finaux – nous ! – se rendent compte que la situation géopolitique mondiale impacte toute la chaîne de valeur, ses parties prenantes et la façon dont elles coopèrent.
 
Pour autant, les modes de consommation, les attentes de personnalisation et les niveaux de performance globaux attendus constituent des tendances de fond qui se sont renforcées ces dernières années. En BtoB par exemple, on considère autant la performance technique du produit que la facilité à le prendre en main, à le manipuler, à l’entretenir.
 
En parallèle, les attentes en matière de sustainability ont fortement progressé, en lien avec les objectifs de décarbonation et certaines réglementations récentes touchant d’autres champs de la durabilité, notamment en Europe : reporting, devoir de vigilance, économie circulaire, biodiversité, production d’énergie renouvelable, etc. Ces réglementations viennent impacter l’ensemble des étapes industrielles.
 
L’organisation du cycle industriel doit donc se réinventer en passant d’un fonctionnement linéaire et siloté à un fonctionnement collaboratif. Si je caricature, jusqu’alors, l’engineering conçoit, le manufacturing fabrique et la supply chain livre, avec des contraintes imposées à l’étape antérieure plus ou moins fortes en fonction du secteur, du produit et de la volonté ou nécessité de rupture entre les produits. L’objectif est que demain, les concepteurs échangent avec les fabricants en tenant compte des avis des vendeurs, dans un environnement consistent.

En effet, les enjeux de coût, de productivité, de performance sont tels que seul un mode de travail collaboratif peut permettre de répondre aux objectifs de réduction du temps de cycle de développement-production.
 
En s’appuyant sur différentes technologies arrivant à un premier niveau de maturité (citons la standardisation industrielle), une collaboration numérique fluide va permettre de réaliser du co-design intégrant les impacts, les contraintes et les possibilités d’optimisation de bout en bout de l’engineering, du manufacturing, de la supply chain, et du customer service, permettant un meilleur retour sur les investissements matériels et humains.

Concrètement, qu’appelle-t-on Continuité Digitale ?

Pour mon collègue Antoine Scotto d’Apollonia, VP Digital Continuity Advisor Capgemini Invent, la continuité digitale, c’est :

« Un état d’esprit, une façon de gérer l’information le plus end-to-end possible ».

Le véritable enjeu de la Continuité Digitale réside dans la réponse aux questions : que veut-on produire ? quelles sont les caractéristiques de ce que l’on veut produire ? Deux critères prédominants qui déterminent les données à collecter, les sources à fiabiliser, les fonctions de l’entreprise à coordonner et les partenaires clés à aller chercher. Il s’agit de la variabilité et du volume. La variation entre deux produits (un bateau de pêche et un yacht) et le volume à produire (une fusée ou des voitures) n’engagent pas les mêmes flux et flots de données. De même, le backbone de départ est différent : parfois un ERP, un PLM ou un CRM. La continuité digitale oblige à prioriser les systèmes à implémenter et réfléchit ensuite à les interconnecter.

D’un point de vue pratique, au niveau technologique, la continuité digitale se définit par l’interconnexion de différentes plateformes autour de bases de données partagées. Cela passe par une meilleure compréhension et maîtrise de chaque backbone pour en tirer le maximum en repensant la pratique de chacune des grandes fonctions de l’entreprise (logique d’optimum local). Les backbones sont ensuite interconnectés entre eux, en fonction des enjeux métiers, des enjeux stratégiques transverses et en redonnant une vue globale du produit et de l’entreprise à chacun. Il ne s’agit pas de vouloir tout interconnecter mais bien d’identifier où cette interconnexion est pertinente dans l’objectif de produire de la valeur.

La Continuité Digitale est également un moyen de mettre en œuvre la collaboration autour de référentiels communs, afin de permettre l’accélération de la prise de décision pour une entreprise ou un écosystème d’entreprises, au plus tôt dans le cycle. La Continuité Digitale va bien au-delà des plateformes de Product Lifecycle Management (PLM), elle concerne potentiellement tous les backbones et tous les métiers de l’entreprise.

  • C’est aussi une démarche managériale avec une gouvernance claire qui fédère les acteurs.
  • C’est enfin une approche méthodologique s’appuyant sur du change management dès le début d’un projet.

L’objectif visé est clair : il faut réduire les temps de cycle de 20, 30 voire 50%. La Continuité Digitale permet d’agir, par exemple, sur des leviers importants tels que :

  1. La virtualisation et la simulation en intégrant plus facilement les informations hétérogènes des équipements avec le produit qui est fabriqué ;
  2. L’intégration plus fluide des designs de sous-systèmes au sein du design global ou entre les différents acteurs du design parfois trop silotés ;
  3. L’intégration directe des interdépendances à un niveau macro, les équipements fixes et mobiles avec les produits, les assets, avec le plan de l’usine, etc.
  4. L’intégration toujours plus forte entre software et hardware connecté ;
  5. La gestion du stock de pièces, de la montée en charge des sous-traitants et fournisseurs ;
  6. Ou encore l’intégration et l’optimisation by design des thématiques environnementales.

Pourquoi est-ce encore compliqué à mettre en œuvre ?

Historiquement perçu comme de purs projets IT, les démarches de Continuité Digitale se sont heurtées aux principes de réalités financières et techniques, aux équilibres de pouvoirs et aux modèles d’organisations des grandes structures. Il est en effet difficile voire impossible de mettre en place des datalakes unifiés et pertinents lorsque la connectivité des machines est limitée et la data disponible non structurée. Difficile également de mener à bien des projets transverses lorsque les différentes fonctions sont structurées en silos étanches au sein d’entreprises où la culture de la collaboration est encore faible et où les objectifs collectifs et individuels sont insuffisamment alignés.

L’efficacité des projets de continuité digitale tient à la fois d’une compréhension fine des différents backbones mais aussi du métier et d’un effet d’expérience sur les résultats qu’on peut atteindre, par exemple en s’appuyant sur des secteurs en avance dans ce domaine. L’IT et l’OT doivent impérativement travailler main dans la main sur ces projets.

Par ailleurs, le rôle des équipes et la dimension humaine reste trop souvent sous-évalué. Pierre-André Vandelle, MBSE Leader – Digital Continuity | Center of Excellence me le rappelait récemment :

« Cela peut être violent pour les ingénieurs ». « Sans implication en amont, ils peuvent avoir l’impression de perdre leur savoir et parfois aussi, de perdre le pouvoir ». Car traiter les discontinuités implique de cesser de penser local pour penser global, et c’est parfois un changement complet de paradigme. « En tant qu’ingénieur, expert pointu de mon domaine, je ne dois plus faire le meilleur système électrique possible, je dois faire le système permettant d’avoir le meilleur produit global possible ».

Contrairement à la croyance générale, la continuité digitale est avant tout un changement culturel majeur, qui positionne l’organisation globale au centre, et une nouvelle dimension dans laquelle le produit résulte de l’engagement commun des équipes expertes de chaque étape, depuis le bureau d’étude jusqu’à la vente.

Auteur

Jacques Bacry

Executive Vice President – Digital Continuity & Convergence Group Offer Leader
Diplômé universitaire en informatique, spécialisé en IA, Jacques prend à la fin des années 90 le poste de VP R&D pour développer l’infrastructure et la modélisation des marques Dassault Systèmes. Il est l’un des pères de l’architecture V5 et a créé le modèle original de modélisation de la base de fonctionnalités de CATIA et l’a promu à travers de grands projets PLM auprès de tous les groupes internationaux des plusieurs branches de l’industrie. Aujourd’hui, Jacques dirige l’activité PLM groupe, accompagnant l’ensemble des organisations pour déployer la stratégie de l’offre groupe.
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