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Les tendances du social en 2025

Guylaine Chanlot
19 mars 2025

Comment la numérisation accélérera-t-elle la transformation des services sociaux en 2025 ?

Selon un rapport de l’OCDE, 50 % des agences pour l’emploi utilisent déjà l’intelligence artificielle (IA). Cependant, malgré des progrès significatifs vers la numérisation, les organisations sociales ne tirent pas pleinement parti du potentiel de l’IA pour améliorer l’orientation vers l’utilisateur, favoriser l’innovation par la collaboration et accélérer les avancées en matière d’accessibilité. Elles n’ont pas encore fait le meilleur usage de l’IA de plus en plus sophistiquée, ou de ce qu’on appelle l’IA agentique. L’accent mis sur ces domaines sous-tend les principales tendances des services sociaux en 2025.

Bien que l’utilisation de l’IA ait pu contribuer à ce que le Journal of Social Policy décrit comme une augmentation de 50 % de la délivrance des prestations sociales, il reste un potentiel énorme non exploité pour les outils numériques afin de créer un système social plus inclusif, durable et efficace pour les générations futures. Nos travaux avec les agences sociales à travers le monde nous ont permis d’identifier les tendances qui façonnent les services sociaux cette année et d’aider les organisations à saisir les opportunités offertes par ces tendances, notamment en faisant progresser l’utilisation de l’IA.

Les organisations sociales ont de plus en plus suivi l’exemple du secteur privé en plaçant les citoyens au centre de leurs opérations. Ce changement implique d’adopter un focus sur les événements de vie, tels que la naissance, l’obtention des diplômes, l’emploi et le chômage, le mariage et le décès. Les organisations publiques reconnaissent la nécessité de systèmes proactifs pour soutenir ces événements de vie : par exemple, une lettre d’acceptation d’une université pourrait automatiquement déclencher des dispositifs de soutien à l’éducation. Cependant, faire de cela une réalité est plus facile à dire qu’à faire. Deux éléments clés sont essentiels pour atteindre cette proactivité dans les services sociaux centrés sur l’utilisateur.

Le premier est une architecture de systèmes commune. Développer des systèmes interopérables permet de connecter sans faille différents programmes et services sociaux, offrant une vue holistique des bénéficiaires. Le concept de « guichet unique » pour les services publics sociaux n’est pas nouveau : l’Administration norvégienne du travail et du bien-être (Nav) a été créée en 2006 avec pour objectif de devenir un guichet unique pour les demandes relatives au marché du travail, à l’assurance nationale et aux services sociaux. Cependant, d’un point de vue technologique, la plupart des prestataires de services sociaux en sont encore aux premières étapes de l’adoption d’une architecture de systèmes commune.
Deuxièmement, le partage et l’utilisation des données sont essentiels pour répondre aux besoins des citoyens. Les écosystèmes collaboratifs de données facilitent les partenariats entre plusieurs institutions pour partager activement et utiliser les données. Ces écosystèmes permettent une création de valeur conjointe pour obtenir des informations plus approfondies sur les besoins et préférences spécifiques des citoyens. Cela permet des interventions proactives, une prestation de services personnalisée et une allocation optimale des ressources. Des politiques robustes de gouvernance et de protection des données sont essentielles pour maintenir la confiance.

Plusieurs pays explorent des concepts d’architecture de systèmes communs et d’intelligence des données pour améliorer l’orientation vers l’utilisateur, les positionnant ainsi comme des précurseurs dans ce domaine. L’application LifeSG à Singapour est une plateforme numérique qui donne accès à plus de 100 services gouvernementaux, facilitant les interactions avec les agences publiques afin que les citoyens puissent recevoir un soutien adapté à leurs événements de vie. De même, l’initiative Tell Us Once au Royaume-Uni permet aux citoyens de signaler un décès à plusieurs agences gouvernementales simultanément. Cela réduit la charge administrative pour les endeuillés, démontrant le potentiel des systèmes intégrés pour améliorer l’expérience des utilisateurs lors des événements de vie critiques et émotionnels. De plus, le EU Digital Identity Wallet est un bon exemple qui montre comment les services de sécurité sociale et les services sociaux peuvent être améliorés avec un stockage et un partage sécurisé des informations personnelles et des identifiants. Ces cas montrent que des systèmes sociaux réactifs et efficaces peuvent être créés grâce aux technologies connectées et à l’intelligence des données.

Les agences sociales reconnaissent que l’innovation est nécessaire pour suivre les besoins et attentes des citoyens, tout en améliorant la prestation des services et l’efficacité. Beaucoup se tournent désormais vers plusieurs technologies révolutionnaires, telles que l’IA, la blockchain et la réalité virtuelle (RV). L’IA réduit déjà la charge de travail des travailleurs sociaux : la transcription assistée par IA, par exemple, peut libérer du temps pour que les travailleurs sociaux se concentrent davantage sur les besoins des citoyens. De même, les technologies de blockchain aident à améliorer l’efficacité et la sécurité des paiements sociaux, garantissant un paiement précis et sécurisé aux bons bénéficiaires. De plus, des environnements de formation immersifs peuvent être créés pour les travailleurs sociaux avec la réalité virtuelle, un préalable à la préparation et à l’efficacité dans des situations réelles.

La volonté d’innover peut se concrétiser par la collaboration. Des initiatives comme le Réseau Social Européen (ESN) facilitent le partage des enseignements tirés de l’innovation dans le domaine des services sociaux, y compris les services d’aide social, d’emploi et d’éducation. Les structures de collaboration évoluent constamment au niveau national. Par exemple, nous assistons à l’essor de « GovTech » — une initiative collaborative visant à favoriser l’innovation et la transformation numérique au sein du secteur public. Les organisations sociales ont rejoint GovTech Campus Deutschland pour collaborer sur un nombre de sujets, liés non seulement au secteur public, mais aussi à l’écosystème plus large. Les agences sociales collaborent également sur des domaines tels que l’avenir du multi-cloud dans la sécurité sociale, le développement d’écosystèmes de laboratoires, de radars technologiques, de cas d’utilisation et de preuves de concept.
Cependant, les prestataires de services sociaux peuvent aller bien au-delà de l’échange de bonnes et de mauvaises pratiques. Ils ont beaucoup à gagner à aborder ensemble des défis communs. En mettant en commun leurs ressources et leur expertise, ils peuvent relever efficacement des domaines tels que la propriété intellectuelle de l’IA, le partage des données et l’interopérabilité. Cette approche collaborative non seulement accélère l’innovation, mais garantit également que les solutions soient évolutives et durables à travers différentes régions et contextes.

L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) estime qu’environ 1,3 milliard de personnes, soit 16% de la population mondiale, vit avec un handicap. Des législations telles que la Loi européenne sur l’accessibilité, la Loi sur l’accessibilité du Canada, la Loi sur l’égalité et la lutte contre la discrimination en Norvège et la Loi sur la discrimination en raison du handicap au Royaume-Uni visent à garantir que les produits et services soient accessibles aux personnes handicapées, favorisant l’inclusivité à travers les nations et les secteurs. En conséquence, les organisations sociales accordent de plus en plus de priorité à l’accessibilité numérique.
L’accessibilité numérique signifie concevoir et développer du contenu numérique pour répondre aux besoins de tous les utilisateurs, y compris ceux ayant des handicaps visibles et non visibles. Les sites web, les applications mobiles et toutes les interfaces numériques peuvent être rendus plus inclusifs et accessibles. Malheureusement, l’accessibilité numérique a parfois été négligée dans la transition vers des expériences numériques privilégiant la technologie ; mais les outils numériques peuvent aussi être utilisés pour combler cet écart d’accessibilité.
Les organisations sociales peuvent tirer parti des technologies d’expérience client pour offrir des moyens alternatifs aux citoyens d’interagir, d’écouter, d’écrire et de parler. Un rapport de Capgemini sur l’accessibilité numérique souligne l’importance croissante de créer des environnements numériques inclusifs. Par exemple, le rapport mentionne la mise en place de logiciels de reconnaissance vocale et de lecteurs d’écran pour aider les personnes malvoyantes. De plus, les plateformes numériques intègrent des sous-titres en temps réel et des services d’interprétation en langue des signes pour aider les personnes malentendantes. Ces technologies améliorent non seulement l’accessibilité, mais aussi l’expérience globale de l’utilisateur en rendant les interactions numériques plus intuitives et conviviales. De plus, le rapport souligne l’importance de la conception centrée sur l’utilisateur — en impliquant les utilisateurs handicapés dans les phases de conception et de test. Cette approche garantit que les besoins spécifiques de tous les utilisateurs sont pris en compte, conduisant à de meilleurs résultats en matière d’accessibilité.

Les gouvernements du monde entier ont rapidement fait du développement et de l’adoption de l’IA un objectif central. Le Plan d’action sur les opportunités de l’IA du gouvernement britannique le cite comme le « levier le plus important pour réaliser ses cinq missions, en particulier l’objectif de relancer la croissance économique de manière globale ». La Stratégie Nationale de l’IA de Singapour encourage une utilisation de l’IA qui ne soit pas simplement ponctuelle mais systémique, avec un chatbot conversationnel répondant aux questions des résidents sur les services publics. La Norvège vise à ce que 80 % du secteur public adopte l’IA d’ici la fin de cette année. Comment l’application de l’IA promet-elle de transformer le secteur social ?
L’accent est mis sur les agents IA, avec des applications d’IA capables de planifier et d’exécuter des tâches avec une intervention humaine minimale ou limitée. De plus, les applications évoluent des actions basées sur des règles à des actions basées sur des raisonnements en exploitant les données en temps réel. Avec des agents IA accomplissant de manière proactive et autonome des tâches distinctes, les humains sont libérés pour se concentrer sur des travaux plus significatifs et percutants. Parmi les exemples de travail assisté par l’IA figurent la détection de fraudes, la gestion des tâches administratives des ressources humaines et l’assistance aux citoyens pour des demandes basiques. Alors que l’IA garantit moins d’erreurs et une résolution plus efficace des problèmes, les humains peuvent se concentrer sur l’établissement de meilleures relations avec les citoyens et le nouveau personnel.
De nombreux pays développent maintenant ou pilotent des agents IA qui pourraient révolutionner les interactions entre citoyens et gouvernements. Les assistants virtuels alimentés par l’IA peuvent offrir une expérience en libre-service fluide et informative partout où les gens ont besoin de soutien pour naviguer dans les services publics et les politiques : des demandes fiscales aux prestations sociales, en passant par les prestations médicales et bien plus encore. Les composants clés incluent des conversations interactives réalistes et en direct, une base de connaissances solide et un soutien multilingue. Le potentiel transformateur de l’IA dans le secteur social est réel et continuera de croître.

2025 – Une année de maturité ou d’incertitude ?

L’année 2025, sera-t-elle celle de la maturité pour l’IA agentique dans le domaine de l’aide sociale ? En tant que point de contact crucial pour les interactions du secteur public, les organisations de services sociaux peuvent bénéficier énormément du potentiel de l’IA. Cependant, le chemin vers la maturité nécessite un soutien exécutif fort, une infrastructure technologique robuste, une base de données solide, une main-d’œuvre formée et une stratégie claire en matière d’IA.

Même avec tous ces éléments en place, les organisations sociales doivent également reconnaître et relever les défis associés à l’IA. Ceux-ci incluent des considérations éthiques telles que le risque de biais algorithmique, ce qui pourrait entraîner un traitement injuste de certains groupes. La protection des données est également d’une importance vitale : une gouvernance claire et de la transparence sont nécessaires pour tous les outils traitant des informations personnelles sensibles. De plus, les organisations doivent réfléchir à la manière dont une utilisation accrue de l’IA peut être compatible avec leurs engagements en matière de durabilité : une requête sur ChatGPT consomme 100 fois plus d’énergie qu’une recherche Google.

Enfin, bien que l’IA agentique et d’autres formes d’IA puissent contribuer considérablement à la transformation des services sociaux, elles ne doivent pas être considérées comme la seule solution à la numérisation du secteur. Notre travail avec les directeurs numériques des organismes sociaux révèle souvent la nécessité de prioriser d’autres enjeux urgents – par exemple, les systèmes hérités obsolètes et les lacunes dans la convivialité mobile de certains sites web du secteur public. Tous ces éléments ont leur place dans une histoire continue de transformation numérique, et chacun peut contribuer de manière différente à aider les agences à fournir davantage pour moins.

Notre expert

Guylaine Chanlot

Health and Welfare Market Unit Head, Capgemini
Convaincue que la révolution numérique peut sensiblement améliorer la vie des citoyens, Guylaine a consacré l’essentiel de sa carrière au service du secteur public. Après avoir occupé plusieurs postes de Directrice Grands Comptes dans le secteur des Entreprises des Services Numériques, elle rejoint Capgemini, où elle prend la tête de la division Santé, Social et Emploi. Ces dernières années, elle mobilise l’ensemble des leviers de transformation digitale du groupe Capgemini, pour accompagner les institutions de ces secteurs. Repenser le parcours usager pour faciliter l’accès aux soins et aux prestations sociales, prévenir plus efficacement les risques grâce à l’Intelligence Artificielle générative ou l’IA Agentique, ou encore sécuriser des données sensibles face à des cybermenaces de plus en plus sophistiquées : autant de défis que Guylaine aide ses clients à relever au quotidien.