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Le non-recours aux droits sociaux : définitions, enjeux et problématiques

Sarah Khachai, Benjamin Perrot & Maxime Beaucor
17 février 2023
capgemini-invent

En 2021, selon le Baromètre d’opinion de la Direction de la Recherche, des Etudes, de l’Evaluation et des Statistiques (DREES), 28 % des Français affirment ne connaître aucune prestation sociale, soit une hausse de 11 points par rapport à 2016.

Cette méconnaissance est en particulier marquée chez les jeunes et les personnes modestes. Au total, 40% des sondés considèrent que le manque d’informations sur les aides est la cause principale du non-recours.

Le non-recours aux aides sociales est un phénomène variable et paradoxal, défini comme le renoncement délibéré ou non de la part d’une population donnée aux aides sociales dont elle est juridiquement bénéficiaire. Il constitue un défi pour les pouvoirs publics afin de pouvoir assurer la pleine effectivité de leurs politiques sociales. Dans cette perspective cet article rappelle les enjeux et problématiques relatifs au non-recours aux droits sociaux (I) et propose des pistes de réflexion sur le sujet (II).

I. Le non-recours constitue un défi encore non résolu pour les pouvoirs publics

Le non-recours aux droits n’est pas une problématique nouvelle. Depuis 2014, les caisses d’allocation familiales (Caf) ont mis en place des « rendez-vous des droits » au profit des allocataires pour évaluer leur éligibilité aux allocations familiales. En 2017 a également été lancé le portail mesdroitssociaux.fr pour informer les allocataires de l’ensemble des aides auxquels ils sont éligibles. En 2020 enfin, l’article 81 de la LFSS 2021 a renforcé la possibilité de cibler les allocataires non-recourant à l’aide des techniques de data mining, auprès des Caf en particulier.

La réalité statistique du phénomène de non-recours est variable selon les aides. La DREES estime en 2023 que 600 000 foyers éligibles ne recourent pas au RSA, 540 000 foyers pour l’assurance chômage et 320 000 pour le minimum vieillesse. En proportion le minimum-vieillesse connaît un taux de non-recours de 50%, le RSA de 34% et l’assurance chômage de 30%. Ainsi sur le plan financier, 3 Md € de prestations de RSA ne sont pas versées chaque année et 1 Md € d’aides du minimum vieillesse (les données ne sont pas disponibles pour l’assurance chômage).

Ce phénomène ne concerne pas uniquement la France, puisqu’en Espagne le revenu minimum connaît un taux de non-recours de 57%, en Belgique il est de 46%, et au Royaume-Uni de 44%, tandis qu’il s’approche des 35% en Allemagne (ibid).

Différents motifs expliquent cette situation paradoxale. Selon la DREES, le principal motif de non-recours en France est le manque d’information sur les aides : 37% de non-recourant déclarent ne pas disposer d’informations suffisantes sur leurs droits, tandis que 22% déclarent que la réalisation des démarches est trop complexe. Les profils de non-recourant sont en outre identifiés, en ce qui concerne le RSA par exemple : 61% des non-recourant sont propriétaires d’un logement, 54% sont diplômés du supérieur et 49% sont en couple sans enfant.

II. Des leviers peuvent être identifiés pour répondre aux défis du non-recours :

Si le non-recours reste important en France, ses causes invitent à se pencher sur un ensemble de leviers disponibles pour y répondre.

Premièrement, la simplification des démarches pourrait réduire le taux de non-recours aux prestations sociales. Cette simplification des démarches suppose en particulier le renforcement de l’efficience des services publics et des actions des agents, dans leurs relations avec les usagers. Par exemple, le pré-remplissage des formulaires pourrait être une solution pour lutter contre le non-recours et simplifier le parcours des usagers. Cette solution va d’ailleurs être déployée par les Caf, le gouvernement ayant annoncé la généralisation de ce parcours simplifié fin mars 2023 pour les demandes du Revenu de solidarité active (RSA), de la prime d’activité et de l’aide personnalisée au logement (APL), à la suite d’une expérimentation menée en 2022.

La complexité des démarches pourrait être également atténuée par l’enrichissement du parcours usager. Une approche méthodologique fondée sur la création d’un parcours usager de bout-en-bout pourrait simplifier les démarches pour les usagers, comme l’ont conclu le 5e comité interministériel à la transformation publique et les retours usager issus de la plateforme Services Publics +, et ainsi réduire les taux de non-recours dans le champ de la protection sociale. Les bénéfices d’une telle démarche seraient multiples : moins d’irritants pour l’usager, plus de personnalisation du service et une plus grande satisfaction. Du point de vue de l’administration, un parcours usager enrichi est un facteur-clé pour améliorer l’image et la confiance envers les services publics, en interne comme en externe.

Deuxièmement, le manque de connaissances sur les prestations sociales renforce le non-recours. Pour y remédier, il serait nécessaire de développer et de renforcer « l’aller vers ». Pour ce faire, les administrations doivent pouvoir identifier les citoyens non-recourant, par exemple via l’accès aux données et au croisement de ces données toutes administrations comprises. Cela permettra de déployer des campagnes de communication ciblées sur les profils exclus des prestations sociales et d’anticiper les demandes de prestations sociales pour des non-bénéficiaires éligibles.

Le non-recours est un véritable enjeu aujourd’hui. Des solutions existent. Il est désormais primordial que tous les acteurs de la protection sociale travaillent ensemble pour y répondre à travers des leviers de simplification des démarches et de renforcement de l’information auprès des usagers

Auteurs

Sarah Khachai

Directrice Secteur Public, Capgemini Invent
Sarah est experte des enjeux de la protection sociale. Elle accompagne les acteurs publics dans la mise en oeuvre de projet de transformation et de mise en oeuvre de réformes en couvrant toutes les phases du cadrage, conception, déploiement et conduite du changement

Benjamin Perrot

Consultant Senior, Capgemini Invent
Benjamin est spécialisé dans les problématiques juridiques et financières de l’action publique, en particulier dans le domaine de l’Union Européenne et des politiques sociales. Il accompagne les acteurs publics dans la mise en place de solutions technologiques pour répondre à leurs grands enjeux de transformation.

Maxime Beaucor

Senior consultant, Capgemini Invent
Maxime est spécialisé dans les domaines de la santé et de la protection sociale. Il accompagne des acteurs publics autour de ces thématiques, notamment dans la mise en oeuvre de leurs projets data et de leurs feuilles de route stratégiques. Il s’est aussi spécialisé dans l’appui que l’intelligence artificielle peut offrir aux acteurs publics.
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