Passer au contenu

Les opérateurs télécoms à l’heure de l’action face au défi environnemental

Caroline Vateau
10 janvier 2023
capgemini-invent

Sur les 4 % des émissions de gaz à effet de serre dus au numérique, les télécommunications sont responsables d’environ un quart. Plus de la moitié provient de la fabrication des équipements (Scope 3 amont), mais la part directement liée à la consommation d’énergie (Scopes 1 et 2) ne cesse de croître avec, entre 2015 et 2021, une consommation d’énergie qui a bondi autours de 40% selon les estimations de l’agence internationale de l’énergie (AIE). Enfin, le secteur des télécoms est aussi un pourvoyeur majeur de déchets électroniques puisqu’en 2021, les smartphones représentaient 10 % des quelque 54 millions de tonnes de déchets d’équipements électroniques et électriques (DEEE) dans le monde.

Ce tableau donne une idée de l’ampleur et de l’urgence des enjeux environnementaux auxquels doivent faire face les opérateurs télécoms, que la convergence de plusieurs facteurs extérieurs pousse d’autant plus à agir.

Se conformer aux obligations réglementaires

Premier de ces facteurs, la réglementation s’est nettement renforcée ces dernières années, reflétant une préoccupation sociétale grandissante. En France, les lois AGEC, qui exigent l’affichage d’un indice de réparabilité des terminaux, et qui imposent, entre autres, de communiquer aux utilisateurs finaux l’impact carbone de leur consommation de données, figurent parmi les plus exigeantes du secteur numérique. Au niveau européen, la taxonomie verte va également étendre les obligations de reporting extra-financier des opérateurs, qui devront recenser leurs services contribuant à la transition bas carbone et démontrer l’éligibilité de leurs projets aux externalités positives dits « IT for Green ».

Maîtriser la consommation électrique liée à leurs activités

Le deuxième facteur d’incitation, ce sont les conditions économiques, marquées par la flambée et la volatilité des prix de l’énergie. Les opérateurs y sont particulièrement exposés, l’énergie représentant une part importante de leurs coûts opérationnels. Il leur faut, en outre, anticiper l’éventualité de rupture totale ou partielle du réseau ou bien de la baisse de la qualité de l’électricité et se préparer à maintenir malgré tout la continuité de leurs services. Enfin, à plus long terme, il leur faut aussi considérer les tensions persistantes sur le marché des semi-conducteurs afin de sécuriser leur approvisionnement en développant par exemple l’économie circulaire.

Tenir compte de la place de l’environnement dans le débat public

Par ailleurs, ils doivent compter avec les attentes grandissantes de leurs parties prenantes : les clients entreprises, qui demandent à leurs fournisseurs de s’aligner sur leur propre politique environnementale ; les investisseurs, de plus en plus vigilants sur ces questions ; les collaborateurs, sensibles à l’engagement de leur entreprise ; enfin on décèle chez les consommateurs finaux une réelle prise de conscience mais les changements de comportements ne sont pas encore assez significatifs.

S’adapter aux nouvelles pratiques

Enfin, les opérateurs télécoms ne peuvent ignorer leur importance vitale dans la résilience nationale comme cela eut été le cas lors des successives périodes de confinements.

Ils représentent également un potentiel rôle clé associés aux usages de pilotage et monitoring des réseaux (eau, énergie, transports…) et processus industriels (IOT, Edge, M2M…) ils participent à l’évolution des modes de travail ; et ils ont, pour garantir l’accès au numérique, une obligation de couverture qui constitue une contrainte supplémentaire dans leurs optimisations. À travers toutes ces applications, les opérateurs ont, certes, des impacts positifs, mais elles nécessiteront de développer des infrastructures, (comme la 5G) pour supporter l’évolution des usages, et ces évolutions embarquent un risque d’augmentation des impacts environnementaux.

Revoir les priorités pour répondre aux enjeux liés au développement durable

En somme, les opérateurs sont pressés de toutes parts de faire plus – le trafic et les usages vont continuer à croître – avec moins – d’énergie, de ressources, d’équipements… – afin de limiter tout à la fois les coûts, les risques et les impacts environnementaux. Et il leur faut agir maintenant ! Pour relever ce défi, ils disposent toutefois de puissants leviers d’action face à chacun de leurs trois grands enjeux environnementaux : leurs émissions de gaz à effet de serre liées à la consommation d’énergie, leurs déchets électroniques et leur empreinte environnementale indirecte (Scope 3), en amont comme en aval.

  • En ce qui concerne l’énergie, 90 % de la consommation provient des réseaux (et très majoritairement des réseaux radio). Il est possible d’en rationaliser la configuration et le déploiement, et d’en optimiser dynamiquement la consommation énergétique grâce à l’intelligence artificielle. Les coupler à des sources d’énergies renouvelables indépendantes constitue une autre piste pour davantage de flexibilité et de résilience. Enfin, des réflexions peuvent être menées sur la mutualisation de certains équipements, à l’image des infrastructures passives pour beaucoup confiées aux TowerCo.
  • Pour réduire les déchets d’équipement électrique et électronique, les opérateurs peuvent adopter des approches plus circulaires, remettant en cause un modèle largement fondé sur l’obsolescence accélérée des terminaux. La réparation, le reconditionnement et la rétrocompatibilité des services et des applications sont autant d’axes à explorer pour en allonger la durée de vie. Développer le recyclage peut aussi permettre de récupérer dans les appareils mis au rebut des ressources brutes de plus en plus rares et coûteuses.
  • Enfin, alors que le Scope 3 représente près de 80% de leurs émissions,  les opérateurs peuvent l’intégrer en systématisant l’analyse du cycle de vie des équipements, des produits et des services. En amont, en travaillant plus étroitement avec les fournisseurs. En aval, en généralisant l’écoconception des offres.

Les opérateurs ont donc de nombreux moyens à leur disposition pour prendre le défi environnemental à bras-le-corps. Toutefois, l’ampleur des enjeux et des exigences, la multiplicité des leviers actionnables et l’étendue de leurs implications invitent à aborder ces questions à l’échelle de l’entreprise, de façon systématique, coordonnée et centrale, et non plus au travers d’initiatives ponctuelles ou périphériques. Malgré la persistance de nombreuses incertitudes technologiques, économiques et sociétales, il s’agit donc pour les opérateurs télécoms d’engager, autour des impératifs écologiques, une transformation profonde de leur modèle.

Auteur

Caroline Vateau

Directrice Numérique Responsable, Capgemini Invent
Caroline Vateau fait partie des experts nationaux sur les problématiques environnementales du numérique (Green IT). Elle intervient depuis une quinzaine d’année sur les sujets de la mesure des impacts environnementaux du numérique, de la construction des bases de données, de la définition des référentiels, la publication de livres blanc. Directrice Sustainable IT chez Capgemini Invent, elle participe à l’intégration du numérique responsable dans les projets de transformation digitale.

    Sur le même sujet

    Pour minimiser leur empreinte environnementale et sécuriser leur croissance les télécoms n’ont d’autre choix que de passer à la circularité

    Des expérimentations d’optimisation dynamique des réseaux mobiles grâce à l’IA ont démontré sa faisabilité et, surtout, fourni des résultats prometteurs

    Malgré une prise de conscience grandissante, les organisations s’interrogent encore sur la mise en place concrète d’une démarche durable pour leurs services digitaux. Comment se lancer tout en engageant ses collaborateurs dans les changements de pratique et faire face aux préjugés sur la frugalité numérique ?

    La voie vers la neutralité carbone pour les opérateurs de télécommunications

    Comme pour tous les autres acteurs économiques, les opérateurs télécoms subissent des pressions pour réduire leurs émissions.