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L’aller-vers pour lutter contre le non-recours aux droits sociaux

Yasser Askar, Maxime Beaucor, Sarah Khachai, Benjamin Perrot, Chloé Sauzon
7 avril 2023
capgemini-invent

Durant la dernière décennie, l’Etat a mis en place un ensemble de politiques publiques visant à simplifier les démarches administratives pour tous les citoyens. Cette simplification s’accompagne notamment de la dématérialisation de ces démarches qui remporte une adhésion croissante. 

Selon la direction interministérielle du numérique (DINUM), en janvier 2022, 87% des 250 démarches administratives les plus utilisées sont réalisables en ligne, marquant ainsi une progression de 20 points par rapport à mai 201911.

En dépit de ces progrès, l’accès aux droits sociaux reste délicat selon les publics et les situations considérés. Par exemple en 2023, selon la Direction de la Recherche, des Etudes, de l’Evaluation et des Statistiques, un tiers des foyers éligibles au RSA chaque trimestre n’y a pas recours2.

Derrière ce chiffre se cache le phénomène complexe du non-recours, qui se décline selon quatre principales formes :

  • tout d’abord, le non-recours par non-connaissance, lorsque l’usager ne connaît pas l’offre publique ;
  • ensuite, le non-recours par non-demande, pour lequel l’offre est connue, mais non demandée (notamment compte tenu de la complexité, réelle ou perçue, des démarches administratives) ;
  • également, le non-recours par non-réception, lorsque l’aide est connue et demandée, mais non perçue (du fait des délais de traitement des demandes par exemple) ;
  • enfin, le non-recours par non-proposition, qui correspond aux cas où l’aide n’est pas proposée ou activée par les institutions malgré l’éligibilité du demandeur, qu’il en ait connaissance ou non3 (par exemple, l’allocation de rentrée scolaire doit être versée automatiquement aux allocataires de la Caf dont l’enfant est âgé entre 6 et 15 ans, ce qui n’est pas systématiquement le cas).

Aujourd’hui, la lutte contre le non-recours est l’un des enjeux clés pour s’assurer de l’efficacité des politiques publiques de protection sociale, et plusieurs leviers ont ainsi émergé afin de lutter contre ce phénomène.

L’une des réponses est le développement de l’« aller vers », dont les pouvoirs publics se sont saisis depuis plusieurs décennies mais dont le déploiement doit aujourd’hui accélérer pour faire face aux défis du non-recours.

« L’aller-vers » : sortir d’une logique de guichet pour se rapprocher des individus

L’Etat s’est engagé dans des démarches d’aller-vers permettant de se rapprocher du citoyen. Elles ont longtemps été perçues comme relevant uniquement de rencontres physiques, à l’instar des Equipes Mobiles Psychiatrie Précarité (EMPP), créées en 2005, se déplaçant à la rencontre des publics en souffrance psychique. Plus récemment, les Bus France Services ont été mis en place en 2020 et se déplacent sur le territoire, notamment dans les quartiers prioritaires de la ville (QPV) et les zones rurales, permettant ainsi un maillage le plus fin possible. Toutefois, l’aller-vers ne se limite pas au seul déplacement des travailleurs et intervenants sociaux hors de leurs bureaux à la rencontre de ces derniers. L’aller-vers physique reste en perpétuel renouvellement : de nouvelles formes émergent, pour s’adapter par exemple aux personnes à mobilité réduite dans les Bus France Services ou le respect de zones de confidentialité en leur sein.

D’autres solutions sont mises en œuvre en matière d’aller-vers et pour se rapprocher le plus possible des citoyens, quelle que soit leur situation sociale ou géographique. Néanmoins, une fois l’information transmise aux publics cibles, l’un des fondamentaux de l’accès aux droits réside en un parcours usager intelligible et facilement achevable. En effet, selon la Drees, le second motif de non-recours en France est la complexité des démarches représentant 22% des non-recourant. Ainsi, proposer des parcours usagers simplifiés permettrait de réduire les situations d’abandon ou même de non-commencement des démarches, luttant ainsi contre le non-recours par non-demande.

L’aller-vers suit avant tout une logique de prévention et de réduction de la distance entre les professionnels de l’accompagnement et les usagers. Par le biais de démarches proactives, qui contrastent avec une logique de guichet, l’enjeu consiste à intervenir auprès des individus avant la survenance des difficultés (ou leur amplification), afin d’accompagner de manière efficace les publics ciblés.

« L’allers-vers » numérique comme réponse de fond au non-recours : mieux cibler les bénéficiaires et automatiser le recours aux droits

Au-delà d’un « aller-vers » territorial, l’ « aller-vers » numérique vise à utiliser de nouveaux moyens pour aller chercher les allocataires de manière virtuelle, sans se déplacer.

Les travailleurs et intervenants sociaux peuvent investir les plateformes numériques où évoluent les usagers, notamment les réseaux sociaux ou encore les plateformes de jeux vidéo, pour les informer. Ils peuvent également agir proactivement en entrant en relation par téléphone, SMS, courriel ou encore sur des forums ou chat, se rendant ainsi disponibles et à l’écoute des individus dans le but de les informer pour les orienter vers les dispositifs adaptés. On peut notamment penser au ministère des solidarités qui promeut régulièrement les différentes aides proposées, de l’allocation journalière du proche aidant à l’allocation de solidarité aux personnes âgées, sur ses réseaux sociaux tels que Twitter et Facebook.

L’aller-vers numérique a par ailleurs connu un intérêt particulier ces dernières années et revêt une nouvelle dimension avec l’expansion des réseaux sociaux comme Twitch ou encore TikTok.
Dans un effort pour s’adapter aux nouvelles pratiques de sociabilité, ces plateformes numériques sont devenues un environnement privilégié d’intervention auprès de leurs utilisateurs, et notamment les jeunes. C’est par exemple le cas de l’opérateur de compétences des métiers de la mobilité qui promeut les métiers qui recrutent par de nombreuses actions digitales dont une campagne Twitch en partenariat avec l’émission Let’s Go !. Parmi les initiatives d’aller-vers numérique on peut également citer les différentes vagues de l’appel à projets « Repérer et mobiliser les publics invisibles et en priorité les plus jeunes d’entre eux » lancées dans le cadre du Plan d’investissement dans les compétences et tout particulièrement celle de juillet 2021, dédiée aux « maraudes numériques ».

De même, l’aller-vers numérique vise à informer très finement les usagers concernés directement par tel ou tel service. A titre d’exemple, dans le cadre de la réforme de la déconjugalisation de l’allocation aux adultes handicapés (Aah), le président de la République a publié une vidéo sur Instagram, réalisée avec une « influenceuse » en situation de handicap, pour présenter la réforme. L’objectif était de cibler la communauté de cette influenceuse, directement concernée par le handicap et donc, potentiellement, par la réforme de l’Aah.

Enfin, pour répondre à la problématique de la non-proposition du droit, des solutions existent, notamment l’automatisation complète des processus pour l’octroi automatique de droits sociaux via une solidarité à la source. Une telle pratique est déjà appliquée en Belgique, par le biais de la BCSS (Banque Carrefour de la Sécurité Sociale), une banque de donnée tampon qui généralise l’octroi automatique des droits sociaux dérivés à l’ensemble des citoyens. L’efficacité de la BCSS pour l’identification et l’octroi automatique a été saluée par le gouvernement belge et s’inscrit dans la priorité d’ « e-government » de la Belgique, afin de lutter contre la pauvreté et l’exclusion par l’utilisation d’outils numériques innovants.

Des exemples d’aller-vers numérique existent donc, à l’instar de l’exemple belge. Il sera primordial de voir demain comment ces sujets seront pris en main par les organismes publics français.


  1. DITP (2022). Améliorer les services publics en continu » ↩︎
  2.  DREES (2022). Mesure régulièrement le non-recours au RSA et à la prime d’activité : méthode et résultats  ↩︎

Auteurs

Yasser Askar

Consultant, Corporate Experience, Capgemini Invent
Yasser est spécialisé dans les domaines de l’action sociale et l’éducation. Il accompagne les acteurs publics et privés afin d’appuyer à la réalisation de leurs orientations stratégiques et à l’atteinte de leur cible organisationnelle.

Maxime Beaucor

Senior consultant, Capgemini Invent
Maxime est spécialisé dans les domaines de la santé et de la protection sociale. Il accompagne des acteurs publics autour de ces thématiques, notamment dans la mise en oeuvre de leurs projets data et de leurs feuilles de route stratégiques. Il s’est aussi spécialisé dans l’appui que l’intelligence artificielle peut offrir aux acteurs publics.

Sarah Khachai

Directrice Secteur Public, Capgemini Invent
Sarah est experte des enjeux de la protection sociale. Elle accompagne les acteurs publics dans la mise en oeuvre de projet de transformation et de mise en oeuvre de réformes en couvrant toutes les phases du cadrage, conception, déploiement et conduite du changement

Benjamin Perrot

Consultant Senior, Capgemini Invent
Benjamin est spécialisé dans les problématiques juridiques et financières de l’action publique, en particulier dans le domaine de l’Union Européenne et des politiques sociales. Il accompagne les acteurs publics dans la mise en place de solutions technologiques pour répondre à leurs grands enjeux de transformation.

Chloé Sauzon

Consultante, Capgemini Invent
Diplômée de l’ESCP et de l’université Paris 2 Panthéon Assas, Chloé s’intéresse tout particulièrement aux problématiques liées à l’emploi, aux politiques sociales et à l’éducation. Elle accompagne les acteurs publics dans la mise en place de solutions technologiques pour répondre à leurs grands enjeux de transformation.
    Pour aller plus loin

    Secteur public

    Le secteur public mène une transformation vers un futur qui sera résolument plus numérique et durable.