En l’espace d’un an, l’IA générative est devenue la source de nombreux projets visant à améliorer le fonctionnement des entreprises et des services publics. Dans un contexte de recherche de leviers d’amélioration de l’efficacité de l’institution judiciaire, elle constitue un allié idéal pour épauler les agents de la Justice dans la réalisation de leurs tâches et rendre le fonctionnement de la Justice plus lisible aux yeux des justiciables.

L’arrivée de Chat GPT a popularisé l’usage de l’IA générative et a amené les entreprises et les services publics à multiplier les projets utilisant cette technologie

L’intelligence artificielle générative est au centre de toutes les attentions en 2023, et il en sera très certainement de même en 2024. Retenons la définition suivante : l’IA générative englobe les technologies qui produisent des contenus, qu’il s’agisse de textes, de voix, d’images, voire de vidéos à partir de bases de données dans lesquelles elle vient puiser. Il peut s’agir du contenu d’internet avec tous les biais que l’on y trouve ou d’une base de données privée (l’ensemble des contrats d’une entreprise par exemple). L’IA générative retrouve, classe et résume des informations présentes dans des grands corpus de documents (texte, tableaux, figures, images…).

L’adoption de l’IA générative a été popularisée par la solution mise en ligne par Open AI : Chat GPT. Deux mois à peine après sa sortie fin 2022, l’application pouvait se targuer d’avoir dépassé les 100 millions d’utilisateurs actifs mensuels. Un record à ce jour.

Depuis, un grand nombre d’entreprises se sont lancées dans l’usage de cette technologie. Si elles ne sont pas exclusives, les deux finalités poursuivies par ces différents projets sont en général : le gain de productivité et l’amélioration de la qualité.

Le secteur public n’est pas en reste puisque le gouvernement a lancé le 5 octobre dernier une expérimentation visant à équiper d’une IA générative un millier d’agents ayant pour mission de répondre aux questions des usagers des services publics. L’agent ainsi peut demander à l’IA de lui générer une proposition de réponse et doit décider si la proposition faite, convient parfaitement, partiellement ou pas du tout. S’il l’estime nécessaire, l’agent doit adapter la proposition de mail. C’est bien lui qui valide in fine le message. L’IA permet de faire gagner du temps à l’agent puisque selon le ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, Stanislas Guerini, le délai moyen de production d’une réponse est divisé par deux.

Les cas d’usage au ministère de la Justice sont très nombreux et pourront aider l’ensemble des agents dans leurs tâches quotidiennes

Dans le cas d’usage expérimenté et cité en exemple par Stanislas Guerini, l’IA ne prend pas de décision et l’agent reste responsable de la réponse envoyée. Les cas d’usage présentés ci-dessous partent du même principe. En effet, s’il subsiste dans certains pays des expérimentations de justice prédictive, les enjeux éthiques et moraux soulevés rendent illusoires une application à grande échelle à court ou moyen terme. Un débat public sur ce sujet est indispensable. Les cas présentés ici visent donc exclusivement à apporter une aide aux magistrats et autres agents du ministère en augmentant leurs capacités de travail, tout en les laissant maitres et décisionnaires des productions réalisées.

Des magistrats épaulés dans la prise de connaissance, l’analyse et la consultation des dossiers

L’IA générative pourrait être employée pour aider les magistrats à maitriser et analyser un dossier pénal qui contient souvent plusieurs milliers de pages. L’IA générative absorberait les éléments du dossier et proposerait des synthèses, identifierait des corrélations entre les évènements et établirait une chronologie, permettant au magistrat de cibler son action et de maitriser plus rapidement le dossier. Elle identifierait et signalerait des incohérences ou contradictions dans les différents documents croisés (dates, propos retranscrits dans le dossier…).

Durant ces travaux, un agent conversationnel pourrait être mis à disposition du magistrat pour répondre aux questions facilitant la recherche d’éléments qu’il sait présents dans le dossier. Il serait alors possible de demander à l’outil de rappeler une date, de retrouver une citation contenue dans une retranscription d’entretiens… La traduction de documents compris dans le dossier pourrait également être réalisée par une IA générative.

Des greffiers contrôlant et enrichissant les propositions de l’IA générative faites pour l’ensemble de leurs actes de saisie et de retranscription

Le greffier pourrait se voir proposer une retranscription en temps réel lors des entretiens/interrogatoires réalisés par les juges d’instruction. Il corrigerait les erreurs et validerait les documents quasiment en temps réel. Outre le gain de temps pour le greffier. L’IA viendrait ainsi renforcer l’exactitude des retranscriptions et éviterait notamment le risque de voir lors de l’audience une personne tenter de revenir sur ses déclarations en mettant en cause une reformulation erronée.

De même, lors de l’audience, les propos des parties et le jugement seraient retranscrits en temps réel sous le contrôle des greffiers pour réduire les temps de saisie des décisions qui ralentissent actuellement la justice.

L’IA générative pourrait également proposer une première version de toute l’éditique générée durant une procédure civile ou pénale (convocations, notifications …).

Une technologie bénéficiant également à l’administration pénitentiaire

Ces travaux de synthèses et de retranscriptions trouvent également de possibles déclinaisons au sein de l’administration pénitentiaire. Afin de déterminer le meilleur parcours d’exécution de peine, les CPIP pourraient disposer de synthèses concernant des personnes condamnées établies à partir des données contenues dans Genesis (SI de la détention) et APPI/Prisme (SI de l’insertion et de la probation) en vue des CPU (commissions pluridisciplinaires uniques, qui réunissent les différentes personnes évaluant le profil des détenus). Une première version des éléments transmis par l’administration pénitentiaire au JAP (juge d’application des peines) pourrait également être produite par l’IA générative à partir des différents écrits disponibles sur un détenu.

Les cas sont innombrables et déclinables à l’infini. L’IA générative serait également un atout incontestable pour aider à la réécriture à droit constant du code de procédure pénale, aiguiller le justiciable en utilisant un langage adapté à des non-juristes.

Les cas d’usage au ministère de la Justice sont très nombreux et pourront aider l’ensemble des agents dans leurs tâches quotidiennes

Ainsi, l’intelligence artificielle générative est pleinement capable d’assister et d’épauler les personnes réalisant des activités intellectuelles. Dans ce cadre, les magistrats tout comme l’ensemble des autres métiers de la justice sont particulièrement concernés par cette technologie qui peut (doit ?) constituer un fabuleux levier d’accélération. L’introduction de l’intelligence artificielle générative nécessite plusieurs étapes.

La première consiste à acculturer et former les agents concernés du ministère afin qu’ils s’approprient les potentialités et les bénéfices attendus de cette technologie.

Cette étape est suivie de la réalisation de prototypes et démonstrateurs venant confirmer la réalité de ces bénéfices pour les agents de la Justice. Ces expérimentations passent par l’adaptation des grands modèles de langage aux tâches des agents et la sélection de corpus de textes adaptés aux cas d’usage retenus (le code de procédure pénale ? les dossiers de procédures pénales ?…).

Le succès de ces prototypes permettra alors d’enclencher une généralisation passant par une conduite du changement auprès des agents utilisateurs. L’enjeu est principalement de leur montrer que l’IA générative vient accroitre les capacités de travail des agents mais ne les remplace pas.

En parallèle, le ministère devra planifier le passage à l’échelle du recours à l’intelligence artificielle générative. L’enjeu sera alors de déployer l’IA générative au-delà des cas d’usage ayant permis de démontrer son utilité. Cette industrialisation sous-entend une stratégie affirmant la vision du ministère en termes technologiques (quelle approche pour industrialiser la conception de cas d’usage, quel hébergement pour garantir la souveraineté numérique et la protection des données personnelles et sensibles, quel modèle de LLM….).