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Les mots du jour d’après : Réinventer la logistique

Capgemini Invent
6 mai 2020
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Le COVID-19 s’impose à nous, à nos organisations, à nos territoires et à nos Etats. Il n’a pas de frontière, se déplace sans limitation, ne nécessite pas de laisser passer.

Cette période que nous vivons est à la fois unique, glaçante, mais nous incite aussi à nous réinventer.

D’abord, pour répondre aux urgences actuelles, mais aussi pour redessiner la société de demain. Elle nous offre un nouveau départ, et tout l’enjeu, est d’être prêt pour le reset1 de nos sociétés. Parmi les secteurs mis en lumière par cette crise sanitaire, celui de la logistique est clé à la fois parce qu’elle est en tension et parce qu’elle est une des artères vivantes dans notre pays confinés. Il est certainement l’un des secteurs qui subira les plus grandes transformations lors du jour d’après.

Les produits qui, hier encore, traversaient les frontières et les territoires avec fluidité, se trouvent désormais bloqués, conséquence d’une perturbation globale impactant tous les maillons de la chaine logistique. Les problématiques d’approvisionnement et de logistique que rencontrent les services hospitaliers, et l’ensemble du secteur économique français nous démontrent à quel point nous sommes fébriles et nos systèmes vulnérables. La guerre des masques et des produits médicaux menée en ce moment en témoigne, la logistique est aujourd’hui une des clés de cette sortie de crise.

Pourtant, la logistique de demain ne peut ressembler à celle que nous connaissons aujourd’hui. A l’instar de ce virus, elle doit s’affranchir des frontières au sens large. Frontières géographiques, sanitaires ou technologiques, tous les acteurs du secteur devront être en capacité de les surmonter pour garantir leur pérennité.

Flexibilité et résilience : les mots clés de la logistique de demain

Flexibilité et résilience deviennent clés pour l’ensemble des logistiques. Une fois cette crise passée, il faudra remédier aux faiblesses mises en lumière par ces dernières semaines.

En premier lieu le besoin pour de nombreuses entreprises, de retrouver la maitrise de l’ensemble de leurs chaines de valeurs, et notamment les manques de visibilité et de partage avec tous les acteurs directs et indirects, sont critiques. Ils ont pour effet de complexifier l’analyse des risques et des impacts, freinant inexorablement la prise de décision et le lancement d’actions correctives. Ce manque de monitoring continue de leur chaîne logistique, couplé à un manque de visibilité en temps réel sur les options de substitutions ralentissent les entreprises. De plus, ces lacunes les rendent moins flexibles et contraignent les capacités d’anticipation de tels bouleversements.

Ensuite, la nécessité pour les entreprises de mettre en œuvre la flexibilité de leurs systèmes de distribution, afin d’être capable à la fois de changer de stratégie et de s’adapter à des modifications de leur réseau en temps réel, doit devenir un standard. Pour exemple, de nombreux acteurs, dépendants de leurs réseaux de distributions ou n’ayant pas accès à leurs clients finaux doivent repenser les frontières de leur modèle opérationnel. En renforçant les opérations en omnicanal ou en développant le « Direct to consumer », ces entreprises seront en mesure de désensibiliser leurs schémas logistiques et de développer de nouveaux marchés.

Enfin, cette crise a aussi mis en avant le besoin d’une continuité de l’information tout au long de la supply chain. La réconciliation de l’ensemble des paramètres comme l’offre et la demande, les capacités de stockage, mais aussi la ressource disponible en temps réel est quasiment impossible avec le monitoring actuel. Cette continuité de l’information permettra aux entreprises d’enrichir leur offre de services pour garantir l’efficience de leur chaine logistique, mais surtout la continuité des opérations.

Ces 3 cas de figure mettent en exergue le besoin d’un partage de la donnée pour mieux répondre aux problématiques rencontrées. C’est tout l’enjeu du projet de plateforme logistique mis à l’étude par le gouvernement au début de l’année. En prenant l’exemple des frontières, la traçabilité de bout-en-bout des produits et flux, couplée à un partage de la donnée entre transporteurs et douaniers permettrait de simplifier le passage aux frontières tout en maintenant le niveau de sécurité et contrôle nécessaire. Au quotidien, cela fluidifierait le flux de marchandise et permettrait un gain de productivité considérable. Dans le cas d’une crise comme celle-ci, l’enjeu est d’autant plus important qu’une discontinuité des flux de produits peut avoir un impact direct sur la santé des concitoyens.

La nécessité d’une plateforme nationale de données pour la logistique

Une plateforme nationale des données logistiques permettrait de gagner en efficacité, en flexibilité et en résilience, tout en réduisant l’empreinte carbone du secteur. La collecte, le traitement, le partage et l’analyse des données doivent devenir indispensables à toutes prises de décisions raisonnées. Seule cette connaissance provenant à la fois de données disponibles en temps réel, mais également de données historiques pour simuler et préparer les anticipations, permettra de relever les enjeux de flexibilité des opérations quotidiennes, d’évaluation des performances de bout-en-bout et d’amélioration des investissements publics et privés.

Sur un marché extrêmement compétitif, les acteurs économiques ont commencé à développer de nombreuses initiatives autour de la donnée afin de se forger des avantages concurrentiels. Les initiatives individuelles sont d’ailleurs indispensables à la transformation du secteur, notamment par leur capacité à être orientées business et à utiliser efficacement des données collectées. Le dénombrement des plateformes collaboratives est d’ailleurs un signe fort du changement de mentalité des acteurs de la logistique et particulièrement du transport, de plus en plus conscient du potentiel d’amélioration à aller chercher à travers le partage de la donnée. Cependant, ces initiatives ne sont pas encore assez généralisées, et ce partage ne concerne ici que les différentes entités d’une même entreprise ou tout au plus ses fournisseurs directs.

Nous sommes convaincus que l’avenir de la logistique passera non seulement par des initiatives individuelles mais aussi et surtout par une entente collective entre les acteurs y compris publics et privés, afin de dessiner les grandes tendances de demain. Le regroupement de données d’acteurs multiples, la standardisation, le partage et la comparaison, seront nécessaires à la réalisation et à la réussite de nombreux cas d’usages tels que le développement de frontières intelligentes, la mise en place de stratégie d‘investissement ou encore l’optimisation des opérations et de l’empreinte carbone. De plus, seule une initiative collective permettra de réduire les coûts nominaux de tels projets d’investissement, permettant la participation de tous les acteurs, petits ou grands, à cette transformation, décuplant à la fois les données et la valeur pour chacun.

Ces initiatives collectives, qui pourraient se traduire par l’émergence de plateformes ouvertes de données logistiques, permettraient d’envisager des gains majeurs pour l’ensemble de l’économie. L’Australie, qui développe une plateforme similaire, estime que celle-ci permettra une amélioration de la productivité de 0,1%. En France, cela se traduirait par un gain de 200 millions d’euros par an (le secteur de la logistique représentant 10% du PIB).

Pour mettre en place ces plateformes, une collaboration étroite devra s’opérer entre l’ensemble des acteurs privés et publics. Il permettra notamment d’apporter des réponses groupées à des enjeux tels que la mise en place d’un langage commun, la définition de normes de partage de la donnée et l’identification de la granularité des données à partager, répondant ainsi aux différents besoins métiers de chaque acteur.

Grâce à cette connaissance commune, l’écosystème pourra être géré de manière plus sobre2 et dynamique en développant des réseaux intelligents. Entre autres, les flux de marchandises aux frontières et dans les hubs multimodaux seront facilités, la maintenance préventive des infrastructures plus efficace et l’empreinte carbone du secteur drastiquement optimisée. En effet, la flexibilité et la résilience de la chaine logistique sont des notions clés à intégrer dans ce renouveau, mais il n’est point de salut sans parler d’une logistique durable. Cette crise d’une ampleur inédite a la formidable conséquence de placer les circuits courts et l’écosystème local sur un piédestal. Mais une fois la crise passée, les schémas logistiques se distendront à nouveau et c’est pourquoi il faut dès à présent les repenser, afin de garantir une sobriété environnementale et une distribution responsable.

Le rôle des pouvoirs publics peut être multiple dans la mise en place de ce type d’initiatives. Il est en premier lieu, l’accélérateur, le tiers de confiance, regroupant les différents acteurs privés, publics et les organisations internationales de standardisation, dont le rôle est de faciliter la définition et l’adoption de règles communes et de standards dans le secteur logistique. En outre, il doit porter le rôle d’investisseur, apportant son soutien à un secteur stratégique et garantissant ainsi la souveraineté nationale de la France.

Pour faire de cette transformation une réussite, il sera impératif d’utiliser l’expérience des initiatives lancées à travers le monde, de s’organiser avec un nombre conséquent d’acteurs/institutions souhaitant prendre part à ce projet, et particulièrement de se concentrer sur des cas d’usages métiers concrets qui devront être la pierre angulaire de la création de ces plateformes. La France a une formidable opportunité de devenir l’un des best-in-class de la logistique à l’échelle d’une économie mondiale sur un nouveau souffle.