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Les mots du jour d’après : mobilité

Guillaume Cordonnier
26 juin 2020
capgemini-invent

Le Covid-19 a bouleversé le monde de la mobilité : interdictions de déplacement à plus d’un kilomètre, distanciation sociale, remise en cause du modèle de Mass Transit, mise en place d’un urbanisme tactique, explosion du télétravail…

Alors que le confinement a été synonyme de dé-mobilité quasi complète, où les villes ont connu une réduction des déplacements de 50 à 90%, la période de déconfinement est marquée par un retour très progressif à la mobilité, une mobilité qui ne sera plus comme celle que nous avons connue jusque-là comme l’illustre la capitalisation de Zoom qui a dépassé celles des 7 premières compagnies aériennes cumulées. De nombreuses opportunités existent à l’image des propositions des citoyens de la convention pour le climat (110 km/h sur autoroute, TVA réduite sur les trains, télétravail, prêt à taux 0 pour les véhicules propres, fin des vols intérieurs…) La crise que nous connaissons nous permettra-t-elle d’entrer pleinement dans le paradigme de la mobilité durable ?

Une mobilité réduite ?

Avec le confinement, les entreprises à travers le monde se sont organisées pour limiter les déplacements de leurs salariés sur leurs lieux de travail, encourager au maximum le télétravail, mettre en place une rotation des équipes… Le besoin de mobilité en a été drastiquement réduit. Et certaines entreprises souhaitent maintenant ancrer ces nouvelles habitudes dans la durée, comme PSA qui compte faire du télétravail la norme. La distanciation sociale dans les transports et les lieux de travail pose aussi le sujet du lissage des heures de pointe, sur lequel Ile de France Mobilité fait campagne pour décaler les arrivées au travail. 

La re-mobilité est par ailleurs marquée par le mouvement de relocalisation des déplacements. Une étude des publications sur les réseaux sociaux et médias réalisée par Bloom sur la période de confinement révèle en effet un changement d’aspirations individuelles et le désir d’une nouvelle urbanité, centrée autour de l’habitant et de sa sphère personnelle. Nos trajets, personnels ou professionnels vont devenir plus courts avec le développement de tiers lieu de proximité.

Une mobilité plus individuelle ? 

Du fait principalement de la distanciation sociale, le « Mass Transit » a perdu 70% de sa capacité de transport dans les premières semaines du déconfinement. Le mass transit constitue l’épine dorsale des transports en commun dans les métropoles. Or les voyageurs ont désormais peur de prendre ces moyens de transport jugés dangereux : comment être rassuré sur l’hygiène et l’affluence des trains, bus et métros ? La RATP a mis en place dès le mois de mai un système de crowdsourcing permettant d’identifier les niveaux d’affluence dans les transports parisiens en s’inspirant de Waze. 

Les compagnons de voyage proposés par les plateformes MaaS (« Mobility as a Service ») répondent au besoin d’une mobilité personnalisée de porte à porte en proposant en temps réel des trajets multi-modaux compatibles avec la distanciation sociale : utilisation du vélo, de lignes de transports moins empruntées. 

Mais une des réponses assez naturelles à la crainte de la proximité dans les transports publics reste de reprendre son véhicule individuel : en autosolisme, ou en covoiturage avec les proches. En mars, 66% des chinois déclarait une intention de privilégier la voiture pour leurs déplacements quotidiens, contre 34% avant la crise[1].

Toutefois cette solution est loin d’aller dans le sens de l’histoire que beaucoup de territoires et acteurs de la mobilité et de l’environnement écrivaient juste avant la crise du Covid-19 : réduire l’autosolisme, l’usage de la voiture individuelle thermique, pour contribuer à réduire notre impact environnemental.

Une mobilité plus durable ?

L’Etat a conditionné les aides accordées à Air France à la suppression des vols de Paris vers des villes accessibles en moins de 2h30 en TGV. Le gouvernement a ainsi saisi l’occasion d’inscrire le secteur aérien dans le mouvement de la mobilité durable. Et il devrait étendre cette interdiction à l’ensembles des compagnies pour éviter le remplacement par des low costs et sécuriser la bascule vers le TGV. A terme ce sont l’ensemble des vols court courriers européens qui pourraient basculer vers le TGV et le train de nuit qui revient à la mode sous l’impulsion notamment de l’Autriche. 

Le regain d’intérêt pour la voiture individuelle est aussi une opportunité pour promouvoir le véhicule électrique. Citroën a ainsi lancé son micro-véhicule électrique sans permis, l’AMI, en le commercialisant à la FNAC pour cibler les jeunes. Les investisseurs corroborent ce scénario : Tesla vient de devenir la première capitalisation automobile et promet notamment une batterie révolutionnaire pour casser l’écart de prix. 

La navette autonome pourrait également être un bon candidat, avec un service à la demande qui limite les interactions sociales. Cette solution est aussi une opportunité pour le transport de marchandises et la logistique urbaine. Dans un monde où les déplacements et la circulation sont réduits, des voies réservées aux véhicules électriques pourraient être mises en place, comme cela vient d’être fait pour le covoiturage…

Une mobilité plus active ?

En cohérence avec cette aspiration à des moyens de transport individuels, on observe également avec le déconfinement que les mobilités actives et principalement le vélo ont le vent en poupe ! En mai, 58% des gestionnaires de flotte en entreprise anticipaient une augmentation de l’utilisation du vélo pour les déplacements domicile-travail[2]. En mai 2020, le trafic de vélos sur Paris était supérieur de 50% par rapport au trafic relevé en mai 2019. De nombreuses collectivités ont d’ailleurs rapidement réagit pendant le confinement pour mettre en place un urbanisme tactique avec par exemple des voies cyclables temporaires, qui connaissent actuellement un grand succès dans la plupart des villes qui les ont mis en place correctement, succès favorisé par les aides financières publiques (subvention pour l’acquisition de vélo électrique, dotation de 50 euros pour la révision de son vélo ou pour une cyclo-école…).  L’enjeu est désormais de les pérenniser.

Une mobilité plus solidaire ?

C’est au moment où notre mobilité est bouleversée que nous devons la repenser collectivement. Plusieurs initiatives individuelles, privées, publiques sont lancées, mais la question du coût d’investissement revient à chaque fois, pour changer les véhicules, les infrastructures, les habitudes…    

Le secteur des transports va bénéficier d’un plan de soutien et de relance record : 15 milliards d’euros pour l’aéronautique, 5 milliards d’euros pour Renault, 50 millions d’euros pour le transport routier. Mais on peut déplorer que ces enveloppes soient principalement destinées aux secteurs aériens et automobiles plutôt qu’aux transports en commun, comme le fait remarquer Thierry Mallet Président de l’Union des Transports Publics.

Il est nécessaire d’investir également dans les transports durables mais pour plus d’efficacité, ces investissements doivent être mutualisés entre les parties prenantes, qu’elles soient privées ou publiques, notamment pour créer des biens communs, comme La Fabrique des Mobilités en a fait son credo 

Chaque entreprise peut y contribuer doublement au regard de sa raison d’être : favoriser les comportements vertueux de ses collaborateurs et apporter ses compétences dans une logique partenariale. Nous l’expérimentons actuellement sur le projet Mon Compte Mobilité que nous menons avec le soutien du Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire. Ce projet d’intérêt général, inspiré du Compte Personnel de Formation, a pour ambition de favoriser le rapprochement pour le citoyen d’une part des droits de mobilités fournis par les entreprises et collectivités et d’autre part des offres de mobilité pour favoriser les mobilités durables et réduire l’autosolisme. Il est co-financé par des acteurs publics et privés. Cette logique de compte mobilité pourrait être étendue dans une logique « pay as you go » pour faire financer la mobilité par les modes les moins durables et réussir ainsi ce qui n’a pas abouti dans le monde d’avant (écotaxe, péage urbain, …) 

L’enjeu est ainsi de lancer de nombreux projets pour construire des communs sur les différents volets de la mobilité pour sécuriser que le jour d’après permette enfin de basculer vers une mobilité durable.

[1] Source : Etude IPSOS, mars 2020

[2] Source : Global fleet & mobility research by nexus communication, mai 2020

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