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Lutter contre les nouvelles formes d’inégalités scolaires : le rôle de la médiation numérique

Jean-Baptiste Perrin
10 janvier 2022
capgemini-invent

Pour éviter que des inégalités de capital numérique ne s’ajoutent à celles, plus classiques, de capital culturel, économique ou social, de nouvelles actions doivent venir compléter l’éventail de mesures déjà mises en œuvre par les pouvoirs publics et les acteurs de la médiation numérique.

Alors que plus de 13 millions de françaises et français étaient déjà éloignés du numérique (i), la crise sanitaire et le confinement ont aggravé les effets de l’illectronisme, en particulier à l’école (ii). Dans les classes, au domicile des élèves, dans leur cartable, le numérique s’est introduit à chaque étape de la scolarité. Pendant le confinement, la maîtrise du numérique par les élèves et leurs parents est ainsi apparue comme un prérequis à la réussite scolaire, accentuant les inégalités préexistantes (iii)

Le numérique, source de nouvelles formes d’inégalités scolaires

La France se situait déjà en dessous de la moyenne de l’OCDE en termes de reproduction des inégalités sociales. La dernière étude Pisa 2018 démontrait la stagnation des inégalités sociales en France (iv) où un élève sur cinq issu d’un milieu défavorisé mais ayant de bons résultats ne prévoit pas de terminer ses études supérieures.

A ces inégalités « traditionnelles », le numérique éducatif a ajouté une nouvelle série d’inégalités : celles liées au capital numérique. Dans les familles très défavorisées, ce sont ainsi :

  • 17% des collégiens et lycéens qui signalent des parents ayant des difficultés pour aider à comprendre les cours (contre 6% pour les très favorisés) ;
  • 27% des difficultés de connexion (contre 15%) – en France, seulement 64% des foyers à bas revenus disposeraient d’un ordinateur (contre 92 % pour les hauts revenus), et 9 % de l’ensemble des adolescents n’y auraient pas du tout accès (v);
  • et 14% un manque de matériel (contre 5%) (vi).

Aux inégalités de capital économique – matériel informatique et qualité de la connexion – s’ajoutent ainsi des inégalités de capital numérique, symbolisées par la maîtrise inégale des outils numériques. En effet, les parents issus des « classes populaires » conservent des méthodes d’accompagnement traditionnelles (rester à côté de l’enfant, faire réciter la leçon) tandis que ceux des « classes supérieures » mobilisent leur capital humain pour proposer des exercices plus complexes, contribuant à la réussite des élèves (vii).

Une omniprésence du numérique à l’école amplifiée pendant le confinement

Le numérique est en effet partout à l’école aujourd’hui avec une place croissante des EdTech (viii), rendant indispensable sa maîtrise par les parents d’élèves s’ils doivent être en mesure d’accompagner leurs enfants dans leur scolarité.

Les bulletins scolaires et les mots dans le carnet n’arrivent plus par la poste mais via Pronote, plus complexe à maîtriser pour le parent mais plus difficile à intercepter pour l’enfant ! De la même manière, l’aide aux devoirs repose aujourd’hui en grande partie sur les Espaces numériques de travail mis à disposition par les collectivités territoriales. Pendant le confinement, les dispositifs de classe à distance ont également connu une forte augmentation. Sur la dernière quinzaine de mars 2020, 11 467 214 classes virtuelles se sont tenues, pour une moyenne de 164 000 classes par jour (ix).

Enfin, le numérique est également nécessaire à la réalisation des démarches administratives liées à la scolarité : autorisation d’absence, demande d’aides, etc.

Pour un parent d’élève, l’incapacité ou la difficulté à utiliser le large éventail des outils numériques est ainsi souvent synonyme d’une capacité limitée à accompagner son enfant dans sa scolarité.

Des premières initiatives existent pour accompagner les parents d’élèves au numérique

Depuis le début de l’année 2020, pouvoirs publics et acteurs de la médiation numériques, conscients de ces inégalités, ont multiplié les initiatives pour accompagner les parents d’élèves au numérique par des programmes ciblés ou des dispositifs plus englobants.

La Banque des territoires a récemment annoncé les près de 40 lauréats, territoriaux et nationaux, de l’appel à projet « Numérique Inclusif, Numérique éducatif ». Cette initiative consiste à valoriser des projets déjà existants pour développer des projets d’éducation au numérique et par le numérique à forte dimension inclusive afin de pallier les inégalités scolaires

Associés à la Trousse à Projet dans le cadre des Territoires numériques éducatifs, ces mêmes acteurs financent également des formations à l’usage et à la pratique du numérique, pour un montant total de 1,3M€ (x).12 départements sont concernés en 2021-2022 (xi). Au-delà de l’équipement des classes et des élèves, de la formation des enseignants et la mise à disposition de ressources pédagogiques, le projet vise à accompagner les parents via l’organisation de rencontres pour familiariser les parents aux enjeux du numérique éducatif et ainsi de favoriser leur implication dans la scolarité de leur enfant.

Dans le cadre de l’appel à manifestation d’intérêt « Etablissements de services » (xii), le ministère de l’éducation nationale, le secrétariat général pour l’investissement et la Banque des territoires financent « des expérimentations d’établissements de proximité offrant un bouquet de services liés à l’éducation, à la jeunesse et à la formation ». Le lycée polyvalent Condorcet, à Schoeneck (Moselle) accueille le premier établissement de services de France. Des ateliers de coparentalité y sont organisés avec les familles et les élèves, notamment pour les aider dans l’orientation professionnelle avec une ouverture vers de nouveaux métiers.

Enfin, si les espaces France services ont déjà essaimé sur le territoire pour accompagner les citoyens à la réalisation de leurs démarches en ligne, les conseillers numériques France services proposent un accompagnement complémentaire (xiii). Fin 2021, plus de 600 d’entre eux sont déjà en poste et 2 000 finiront leur formation au premier trimestre 2022. Ils accompagneront les français au maniement des outils numériques, du traitement de texte à l’installation d’une application en passant par l’utilisation des principaux outils de visioconférence. Certains d’entre eux se rendront directement dans les écoles pour organiser des ateliers à destination des élèves.

Renforcer, au sein de chaque établissement, l’accompagnement des familles au numérique

Pour réduire de façon durable les inégalités scolaires liées au numérique, ces initiatives doivent être renforcées et généralisées ou proposer une offre spécifiquement conçue pour les parents d’élèves. Des mesures complémentaires doivent également être prises pour faciliter la vie au quotidien des parents d’élèves et leur permettre d’accompagner sereinement leurs enfants tout au long de leur scolarité.

Les mesures suivantes nous paraissent les plus à même d’atteindre ces objectifs en permettant aux parents d’élèves de se doter d’une culture numérique et en compensant les inégalités économiques :

  • la création, dans chaque établissement scolaire, d’un conseiller famille, capable d’éclairer les parents dans la réalisation des principales démarches dématérialisées de vie scolaire. Ils pourront être issus des filières administratives de l’éducation nationale, libérées d’une partie de leurs tâches par la dématérialisation ;
  • l’élargissement du dispositif Aidants Connect aux principaux outils du numérique éducatif afin de bénéficier de l’accompagnement d’un professionnel de la médiation numérique pour se former aux différents outils et réaliser les démarches ;
  • l’établissement, comme recommandé par le Livre Blanc sur le numérique éducatif publié par la Banque des territoires (xiv), d’un « Fonds de service internet universel ». Abondé par les opérateurs, le fonds pourrait prendre en charge, sous conditions, les frais d’abonnements internet.

Au-delà de la réussite scolaire des élèves, la maîtrise du numérique par les parents doit également être vu comme un outil de lutte contre les violences scolaires. Pour combattre le cyberharcèlement en milieu scolaire, la formation des parents au numérique doit également consacrer des moyens importants à la protection des droits de leur enfant en ligne.

Sources

i Enquête Capacity du groupement d’intérêt scientifique M@rsouin, 2016, soutenu par l’Agence nationale de recherche
ii INSEE, Les inégalités sociales à l’épreuve de la crise sanitaire : un bilan du premier confinement
iii Barbara Marie-Apolline, « Inégalités de conditions de vie face au confinement », Trésor-Éco, n° 264, Direction générale du Trésor, août 2020
iv OECD (2019), Résultats du PISA 2018 (Volume I): Savoirs et savoir-faire des élèves, PISA, OECD Publishing, Paris, https://doi.org/10.1787/ec30bc50-fr.
v CGE, ARCEP, Agence du numérique, Baromètre du numérique. Enquête sur la diffusion des technologies de l’information et de la communication dans la société française en 2019, synthèse, 2019.
vi INSEE, Les inégalités sociales à l’épreuve de la crise sanitaire : un bilan du premier confinement
vii Pirone Filippo, Delès Romain, « Le rapport à l’école des familles en temps de confinement : des différences entre milieux sociaux », op. cit
viii EdTechs et acteurs institutionnels : quel modèle d’après-crise ? – Capgemini Invent
ix Mars 2020 – mars 2021 : un an de continuité pédagogique et de gestion de la crise sanitaire dans les écoles et les établissements, Ministère de l’Education nationale
x https://www.education.gouv.fr/les-territoires-numeriques-educatifs-306176
xi L’Aisne et le Val-d’Oise ont été rejoints par 10 nouveaux départements : Bouches-du-Rhône, Cher, Corse-du-Sud, Doubs, Finistère, Guadeloupe, Hérault, Isère, Vienne et Vosges.
xii https://www.education.gouv.fr/investissements-d-avenir-lancement-de-l-appel-manifestation-d-interet-etablissements-de-services-307391
xiii https://www.conseiller-numerique.gouv.fr/
xiv https://www.banquedesterritoires.fr/sites/default/files/2020-11/20201102_Banque%20des%20territoires_R%C3%A9flexion%20sur%20le%20num%C3%A9rique%20%C3%A9ducatif.pdf