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L’hydrogène décarboné, levier incontournable pour tenir l’engagement Net zero, face au défi du passage à l’échelle

Capgemini Invent
28 mai 2021
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L’objectif « Net zero » d’ici à 2050, acté en mars 2020 par l’Union Européenne, est devenu un cri de ralliement mondial avec plus de 100 pays partageant désormais cette ambition.

Plusieurs entreprises emblématiques des secteurs de l’industrie ou de l’énergie s’engagent à leur tour (Air Liquide, Total, BP, Shell, …). Dans ce combat pour contenir le réchauffement climatique, l’hydrogène décarboné comme vecteur énergétique est un levier clé en raison de ses facultés de stockage et de sa forte densité énergétique.

L’industrie et la mobilité lourde, des cibles incontournables

Aujourd’hui en Europe, la production d’H2 dédiée à l’industrie lourde répond à plusieurs usages spécifiques, actuellement tous fortement carbonés. Si demain, l’H2 décarboné doit servir en priorité les secteurs difficilement décarbonables notamment via l’électrification des usages, l’industrie lourde apparait alors comme le secteur à cibler pour avoir de l’impact. Ce secteur est d’autant plus incontournable que les industriels ne semblent pas disposer de substituts à l’utilisation de l’H2 comme réactif et produit de base de certains de leurs procédés. Il s’agirait d’éviter chaque année l’émission de 70 Mt de C02 en Europe, soit l’équivalent des émissions annuelles de CO2 de l’Irlande (64,2 Mt)[1]. La seule décarbonation de la fabrication d’acier permettrait d’éviter chaque année l’émission de 13,7 Mt de CO2 (rapport « Fit for net-zero », Capgemini Invent & Breakthrough Energy).

Néanmoins, d’autres usages sont à anticiper, à des horizons différents mais tous dans une dynamique de croissance : le transport et le stockage. Responsable en Europe[2] de 26%3 des émissions annuelles de C02, soit environ 940 Mt3, le secteur du transport, est animé par un enjeu fort de décarbonation. Il est vrai que les coûts élevés des stations de recharge à l’H2 ainsi que les meilleurs rendements énergétiques des batteries par rapport aux piles à combustible (70 à 90% vs 25 à 30%)[3] ont orienté le développement de la mobilité légère vers les véhicules à batteries. Cependant, certaines caractéristiques de la pile à combustible (autonomie, temps de ravitaillement) permettent de considérer un déploiement de la mobilité H2 pour les transports lourds (ferrés, maritimes et fluviales) et les flottes captives à usage professionnel.

Le stockage d’énergie sous forme d’hydrogène est quant à lui un levier intéressant pour pallier la variabilité de la production de certaines énergies renouvelables (EnR) et rendre possible leur intégration dans les mix électriques.

Enfin, l’injection de l’H2 dans les réseaux de gaz naturel est également prometteuse même si des barrières techniques et réglementaires restent à lever au cours de la prochaine décennie.

Une nécessité pour la filière Hydrogène de passer à l’échelle dans la décennie à venir

En matière technologique, 2 principales alternatives existent pour produire cet hydrogène décarboné : à partir d’eau, par électrolyse ou à partir de gaz naturel, par vaporeformage. Cet hydrogène est dit « renouvelable » lorsqu’il est produit par électrolyse à partir d’EnR et « bas carbone » lorsqu’il est produit par électrolyse à partir d’énergie nucléaire ou par vaporeformage à partir de gaz naturel associé à un système de captage et stockage de CO2 (Carbon Capture and Storage – CCS).

Pour soutenir le développement de ces technologies et le passage à l’échelle de la filière, l’Union Européenne et plusieurs pays européens ont élaboré courant 2020 des plans d’investissement. Selon la Commission Européenne, l’émergence d’une véritable chaîne de valeur de l’H2 décarboné sur le vieux continent pourrait générer des investissements dans les capacités de production d’H2 renouvelable allant de 180 à 470 Mds€ d’ici à 2050 et permettre la création de près d’1 million d’emplois. En France, le Plan hydrogène s’élève à 7 Mds€ d’ici à 2030 et fait de l’industrie lourde, l’une de ses priorités afin d’éviter l’émission de 9 Mt de CO2 par an. Ceci via la création d’une capacité de production de 6,5 GW d’électrolyseurs, visant ainsi la création de 50 000 à 150 000 emplois directs & indirects. A titre de comparaisons, l’Allemagne et le Japon annoncent des investissements respectifs de 9 et 15 Mds€ d’ici à 2030. Une véritable course au leadership dans ce domaine a démarré.

Alors que ces plans d’investissement se focalisent pour la plupart sur l’émergence d’une filière de l’électrolyse et le développement de la mobilité hydrogène, la question de la source d’énergie associée à la production d’H2 est cruciale. Quel couple « source d’énergie / hydrogène » est le plus pertinent et pourquoi ?

La demande annuelle en électricité résultant de la décarbonation de l’industrie lourde via l’H2 décarboné, devrait augmenter en France de 55 TWh d’ici à 2050. Dans le scénario d’une production d’électricité 100% renouvelable et en tenant compte des facteurs de charge de l’éolien et du photovoltaïque (20,7% et 13,5% en 2019), la capacité du parc français EnR non pilotable (28 GW à fin 2020) devrait doubler d’ici à 2050 pour absorber cette nouvelle demande. Pour être viable, ce scénario 100% EnR devrait donc vraisemblablement faire aussi l’objet d’investissements conséquents également sur l’amont de la chaine de valeur de l’H2 pour la production même de l’électricité, et nécessairement sur les infrastructures de transport d’électricité et de gaz.

Fort de ce constat sur l’amont de la chaine de valeur, en France, le nucléaire n’aurait-il pas un rôle à jouer dans la production d’H2 ? Si les EnR sont un allié incontestable pour produire de l’hydrogène décarboné, il est aussi nécessaire de tenir compte des atouts du territoire sur lequel est déployé ce vecteur énergétique. La mise à contribution du parc nucléaire français semble alors inéluctable. En effet, cet outil industriel, d’une capacité installée de 61,4 GW, permettrait de sécuriser une base de production d’électricité bon marché, pilotable et décarbonée. De plus, des travaux conséquents sont d’ores et déjà en cours de réalisation par EDF pour maintenir un haut niveau de disponibilité du parc : le programme Grand Carénage visant à étendre la durée de vie des réacteurs au-delà de 40 ans (budget estimé de 49,4 Mds€ et une échéance à 2025[4] ).

Outre atlantique, cette voie de l’H2 nucléaire semble sérieusement considérée par le ministère de l’énergie des États-Unis qui souhaite entreprendre une caractérisation des différentes méthodes de production. L’Hydrogen Program Plan, publié fin 2020, dévoile l’initiative H2@Scale qui, articulée autour de programmes de RD&D menés en collaboration entre électriciens et laboratoires nationaux (Exelon, Nel Hydrogen, etc.), permet d’étudier 2 types de production : sur site industriel (décentralisée) et sur site électronucléaire (centralisée). Cette initiative vise à étudier la compétitivité « bout en bout » (de la production à la consommation) des technologies, sans se contraindre dans un premier temps par une planification de capacité d’électrolyseurs. H2@Scale cible notamment la technologie d’électrolyseur dite « haute-température » qui, couplée à un réacteur à eau pressurisée, peut être considérée comme une technologie à potentiel, à condition qu’elle profite d’économies d’échelle et de séries suffisantes, tant pour les réacteurs à forte puissance que pour les petits réacteurs modulaires.

L’H2 décarboné, une opportunité majeure pour les industriels et énergéticiens

S’il n’est plus à démontrer que l’hydrogène est un vecteur incontournable pour permettre de tenir l’engagement « zéro émission nette », il n’est plus à démontrer non plus que c’est une source d’opportunités de transformation :

  • de nouveaux territoires de valeur à conquérir avec de nouvelles offres & produits, …
  • des gains en performance à réaliser tout en décarbonant ses activités cœur de métier, …

Selon Bloomberg, le marché mondial de l’hydrogène pourrait représenter 700 milliards de dollars (près de 600 milliards d’euros) d’ici à 2050.

Les transformations sont déjà lancées pour saisir ces opportunités : Air Liquide annonce l’investissement de 8 Mds€ dans l’hydrogène d’ici à 2035 pour verdir sa production & s’associe à Siemens pour développer des électrolyseurs de grande capacité ; EDF a lancé Hynamics, sa filiale pour produire et commercialiser de l’H2 bas carbone et a annoncé le 26 avril, un accord de coopération stratégique avec Rosatom en matière de R&D pour la décarbonation de complexes industriels ; ENGIE et Total s’associent pour concevoir, développer, construire et exploiter le projet Masshylia, plus grand site de production d’H2 renouvelable de France ; Alstom annonce l’acquisition d’Helion Hydrogen Power, un spécialiste des piles à combustible. Teréga et Enagas (gestionnaires de réseaux et de stockage), DH2 Energy (producteur d’H2 vert) et GazelEnergie (énergéticien) ont annoncé le 30 mars un partenariat pour étudier le déploiement d’un ensemble d’infrastructures de production et de transport d’H2 vert entre la France et l’Espagne. Enfin, Schlumberger et le CEA ont annoncé le 5 avril le lancement de la société Genvia dont l’objectif est d’accélérer et d’industrialiser la technologie d’électrolyseur d’oxyde solide à haute performance.

Sur ce marché en passe de devenir plus large et plus compétitif, industriels & énergéticiens sont tenus de réinterroger leur ambition en matière d’hydrogène & leur positionnement sur la chaine de valeur. Dans un contexte où le leadership technologique & l’industrialisation seront clés, des coopérations industrielles sont indispensables pour asseoir rapidement un nouveau positionnement & accélérer le passage à l’échelle.

Cette publication a été initialement éditée par Enerpresse, qui publie une tribune sur un sujet énergétique chaque premier jeudi du mois. Ce point de vue a été co-écrit par Bakr Naciri, Principal et François Chabert Senior Consultant chez Capgemini Invent.

  • [1] en 2018 – Official European Commission website – Emission inventories
  • [2] Union Européenne des 27, l’Islande et le Royaume-Uni
  • [3] Etude de Horváth & Partners – Automotive Industry 2035 – Forecasts for the Future
  • [4] Déclaration EDF, 29 octobre 2020