Depuis longtemps, la recherche médicale s’intéresse aux signatures olfactives et émissives des maladies. Les gaz expirés, dits gaz alvéolaires, reflètent le métabolisme du corps humain, mais aussi des éventuels pathogènes qui s’y trouveraient. Ainsi, des teneurs anormales en certains composants chimiques ou organiques peuvent révéler la présence d’une bactérie ou d’une maladie. Infectant l’estomac, l’Hélicobacter pylori (H.pylori) peut par exemple être détectée de cette manière.

De même, une concentration excessive en monoxyde d’azote (NO) est reconnue comme un marqueur du stress oxydatif, l’état pathologique le plus fréquent pour des maladies comme l’asthme, la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) et le cancer du poumon. D’autres travaux se penchent sur l’analyse des COV présent dans les urines, les selles ou la sueur sont explorées pour détecter de manière précoce des cancers colorectaux, de la vessie ou encore prévenir des crises d’épilepsie.

Des données précises mais complexes

Il existe aujourd’hui sur le marché des capteurs suffisamment sensibles et sélectifs pour détecter des concentrations infimes de ces biomarqueurs, mais toute la difficulté réside dans l’analyse des données qu’ils produisent, à savoir des séries temporelles multivariées complexes. S’agissant d’établir un diagnostic médical, il faut en effet être capable de déterminer la présence ou non de la pathologie avec un niveau très élevé de fiabilité, un minimum de faux positifs et de faux négatifs, et ce, en dépit de la diversité des patients, des contextes d’examen, des conditions environnantes, etc.

Après avoir sélectionné les capteurs qui constitueront le nez électronique, il s’agit donc de mettre au point l’algorithme qui va analyser les courbes de réponse, en éliminer le bruit pour faire émerger des schémas identifiables, et reconnaître à coup sûr parmi ceux-ci la signature caractéristique d’une pathologie. Jusqu’à présent, on s’appuyait pour cela sur des méthodes empiriques de traitement du signal et de reconnaissance de formes, ce qui freinait l’émergence de solutions suffisamment robustes et performantes pour être déployées à grande échelle.

L’IA fait sauter le verrou

En ajoutant à la panoplie des algorithmes utilisés le machine learning et d’autres stratégies d’IA comme l’ensemble learning, ce verrou scientifique et pratique est aujourd’hui en train de sauter. Pour que le dispositif soit véritablement performant, le modèle d’IA doit être exclusivement entraîné sur les résultats des capteurs choisis. Ceci les rend donc absolument indissociables et nécessite par conséquent des compétences de pointe aussi bien sur l’aspect matériel qu’algorithmique. C’est cette voie que Capgemini, qui possède cette double expertise, explore aujourd’hui avec la publication de résultats très prometteurs.

Des défis et des perspectives

Même s’il reste encore de nombreux défis à relever, comme la dérive temporelle des capteurs, la distinction entre des maladies aux signatures voisines ou la difficulté à éliminer la variabilité due aux conditions particulières de chaque examen, les avancées récentes permettent d’envisager l’essor prochain et rapide de dispositifs médicaux fondés sur ces nez électroniques.

En offrant une alternative légère aux spectrographes de masse et aux bancs de chromatographie utilisés en laboratoire, l’e-nose a tout pour devenir l’un des équipements clé de la médecine de précision et de proximité de demain. Peu onéreux, portable, facile à utiliser, il permet d’effectuer des tests non invasifs avec des résultats immédiats. Ce serait un instrument idéal dans de nombreux établissements médicaux (maisons de santé, cabinets généralistes, pharmacies…) pour réaliser des campagnes de prévention et de dépistage de masse, établir des pré-diagnostics afin d’orienter au mieux les patients, suivre des populations à risque, ou encore surveiller des patients en ambulatoire (par exemple, pour détecter d’éventuelles infections postopératoires). Le champ des possibles, comme les perspectives, est immense.

Les promesses de l’e-nose pour la bioproduction de médicaments

En élargissant le principe, l’e-nose pourrait permettre la détection en temps réel de toutes sortes d’agents biologiques présents dans l’atmosphère. Ceci pourrait avoir des applications dans de très nombreux domaines, en particulier la bioproduction de médicaments. Aujourd’hui, pour détecter la présence de pathogènes, on doit analyser en laboratoire la croissance des micro-organismes sédimentés sur des boîtes de Petri régulièrement prélevées dans l’environnement de production. C’est un processus lourd, coûteux, et qui conduit à d’importants gaspillages. En effet, en cas de résultat positif, on est contraint de jeter tous les lots postérieurs au dernier prélèvement sain, soit parfois plusieurs jours de production. Avec l’e-nose, on pourrait mettre en place une surveillance en temps réel, beaucoup plus efficace aussi bien du point de vue sanitaire qu’économique.