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L’écoconception de services numériques à l’épreuve du terrain

Nicolas Chollet
27 mai 2025

Quels apports du Référentiel Général de l’Éconception des Services Numériques (RGESN) au quotidien des projets IT ? Un retour d’expérience sur l’application du référentiel qui vise à réduire la consommation de ressources informatiques et énergétiques.

Peu à peu, l’écoconception fait son chemin au sein des organisations IT qui commencent à en percevoir tous les avantages. Car des services plus frugaux et plus durables ne sont pas seulement meilleurs pour l’environnement : bien souvent, ils sont aussi moins coûteux à exploiter et à maintenir, plus fluides et plus portables pour les utilisateurs, plus en phase avec les stratégies et les discours RSE de l’organisation…

Dans le secteur public, ils contribuent aux exigences croissantes de sobriété numérique et au devoir d’exemplarité environnementale vis-à-vis des citoyens. Dans les transports, ils s’intègrent aux stratégies globales de réduction des émissions, d’efficience énergétique et d’amélioration de l’efficacité opérationnelle. De manière générale, l’écoconception figure de plus en plus fréquemment dans les appels d’offres des DSI tandis que nombre d’entre elles souhaitent également la généraliser en leur sein. 

Pour cela, le Référentiel Général de l’Écoconception des Services Numériques (RGESN), élaboré par l’Arcep et l’Arcom en collaboration avec l’ADEME, la DINUM, la CNIL et l’Inria, constitue une excellente base. Ce référentiel, qui n’a pas (encore) un caractère contraignant, vise à accompagner les démarches d’écoconception sur quatre axes clés du numérique durable : allonger la durée de vie des équipements, limiter les mécanismes incitant à des usages immodérés, restreindre la consommation de ressources et accroître la transparence environnementale. Après une première version publiée en 2022, le RGESN a évolué pour être encore plus proche des pratiques, du langage et des besoins des créateurs de services numériques. Sa deuxième version, publiée en mai 2024, comporte 78 critères répartis en 9 catégories, de la stratégie à l’hébergement en passant par l’interface utilisateur et les algorithmes. Chacun de ces critères se présente sous la forme d’une question à se poser, assortie de solutions pour réduire, puis évaluer l’impact environnemental du service considéré.

Un nécessaire travail d’adaptation et d’appropriation.

Malgré cette orientation résolument pratique, les organisations ont un important travail à réaliser pour s’approprier pleinement le RGESN et l’adapter afin qu’il se fonde dans la culture, les pratiques et l’outillage des collaborateurs. Pour ces derniers, en effet, l’écoconception ne doit pas être perçue comme une charge supplémentaire, mais comme un guide vers des choix plus optimaux. L’un des enjeux, en particulier, est de donner une cohérence et une visibilité globales à la démarche. Certains critères, en effet, peuvent venir en contradiction avec d’autres considérations (architecture, sécurité, expérience utilisateur…) ou bien avec des choix antérieurs, et il est important que chaque acteur ait une vue d’ensemble pour prendre des décisions éclairées. 

Capgemini a très tôt intégré l’écoconception à son propre modèle, et c’est en nous basant sur cette expérience que nous avons pu accompagner plusieurs grandes organisations dans leur mise en œuvre du RGESN. Nous pouvons aujourd’hui tirer de précieux enseignements de ces projets sur plusieurs aspects clés.

La motivation originelle : fixer et maintenir le cap.

Dans le secteur public, la loi REEN et plusieurs directives gouvernementales encouragent fortement l’adoption du RGESN. Quant aux entreprises privées, celles qui répondent aux appels d’offres publics s’exposent de plus en plus fréquemment à des pénalités si elles ne le respectent pas. C’est aussi pour elles un atout en vue d’obtenir certains labels environnementaux. Malgré ces multiples incitations, le RGESN n’a pour l’heure aucun caractère obligatoire. Son application reste donc en général une démarche volontaire, qui répond à une ambition propre à l’organisation. Cette ambition doit être clairement exprimée dès le départ et portée par des sponsors de haut niveau. C’est ce qui permettra de donner un cap, un sens et une continuité à la mise en œuvre qui, sans cela, pourrait s’essouffler ou pâtir d’autres priorités. Chez un grand acteur des transports, par exemple, le principal objectif était de s’aligner sur son positionnement éco-responsable et anticiper les futures évolutions réglementaires ou les critère ESG. Pour une collectivité territoriale, il s’agissait avant tout de se montrer pionnière et exemplaire vis-à-vis de ses citoyens. Dans d’autres contextes, c’est l’optimisation des performances et la réduction des coûts IT qui peut s’en suivre, qui vont fixer le cap et lancer la démarche.

L’analyse, le choix et le déploiement des critères : s’adapter au contexte.

Comme il n’est pas envisageable, ni même pertinent, d’appliquer d’emblée la totalité du RGESN, cette ambition stratégique va aussi aider à sélectionner et prioriser les critères. Ceux-ci (une vingtaine environ pour débuter, par exemple) devront par ailleurs s’accorder au SI et à ses divers enjeux, être aisément solubles dans l’opérationnel et pouvoir apporter rapidement des résultats significatifs. Pour pouvoir être déployé, chaque critère doit être adapté au contexte de l’organisation. Une fiche d’analyse détaillera les acteurs concernés, leur rôle et leurs responsabilités, le moment où ils doivent le prendre en compte, les solutions préconisées, les indicateurs de suivi, les contrôles à mettre en place, etc.

L’outillage : contrôler la mise en œuvre, suivre les progrès. 

Pour s’assurer que les critères sont bien appliqués, il est important de déployer en parallèle des outils organisationnels (checklists) et techniques (tests automatisés dans le code). La mise en place de systèmes de mesure permet aussi de connaître les bénéfices de la démarche et de l’inscrire dans une perspective d’amélioration continue. La précision des indicateurs d’impact environnemental ainsi obtenus permet même d’envisager que d’indicatifs, ils puissent devenir contractuels.

L’organisation : constituer une équipe de champions.

Pour entretenir la démarche, aider les acteurs (qui n’ont pas tous vocation à être des experts) et faire remonter leurs observations, nous préconisons la création d’un réseau de référents au sein des équipes. Identifiés, compétents et disponibles, ces champions se révèlent souvent un relai efficace pour ancrer le changement sur le terrain. Ils doivent être motivés par le sujet et voir leur investissement reconnu.

La formation : sensibiliser aux enjeux, inculquer les pratiques.

La formation des acteurs constitue bien entendu l’un des volets majeurs du déploiement du RGESN. Son but est triple :

  1. Sensibiliser aux enjeux de l’écoconception – en général et pour l’organisation en particulier – afin de donner du sens à ces nouvelles exigences.
  2. Permettre à chacun de s’approprier les critères qui le concernent : ce qu’ils sont, ce qu’ils visent, ce qu’ils impliquent, comment et avec quels outils les mettre en œuvre…
  3. Faire en sorte que chacun devienne autour de lui un ambassadeur de la démarche pour renforcer la dynamique collective. Combiner les divers moyens à disposition – e-learning, webinaire, serious game… – permet de poursuivre ces trois objectifs grâce à une action à la fois large et ciblée.

Le passage à l’échelle : le RGESN dans les organisations complexes 

Pour un client du secteur public, Capgemini a été amené à mettre en place le RGESN au sein d’un consortium regroupant plusieurs prestataires, intervenant chacun avec ses méthodes et ses outils sur des portions distinctes d’un grand projet. Cette expérience a montré que le RGESN pouvait se ramener à un ensemble de principes communs et agnostiques, supportés par une gouvernance transverse, et produisant des indicateurs identiques que l’on peut ensuite consolider. Autrement dit, il est possible de passer le RGESN à l’échelle, ce qui ouvre des perspectives très intéressantes pour les organisations complexes, multi-acteurs et/ou décentralisées.

S’il n’est pas encore coercitif, le RGESN pourrait le devenir et, à elle seule, cette éventualité devrait inciter les organisations à s’en emparer sans attendre. L’enjeu dépasse cependant la simple conformité à la réglementation ou le respect des exigences des donneurs d’ordre. Comme le montrent clairement nos retours d’expérience, avec un bon accompagnement, le RGESN passe haut-la-main le test du terrain pour livrer rapidement les très nombreux bénéfices de l’écoconception, environnementaux et au-delà.

Auteur

Nicolas Chollet

Architecte Solutions Principal
Avec près de 20 ans d’expérience dans l’IT, Nicolas est expert sur les différentes facettes de l’architecture et de l’innovation. Il intervient sur des sujets d’architecture d’entreprises et solutions, en très grande partie dans le secteur du transport. Il a piloté de nombreux sujets de transformations majeures de systèmes d’informations, en intégrant « by design » les critères de développement durable, et intervient sur de nombreuses initiatives transverses autour de l’écoconception IT.

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