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Dans le nucléaire, la sûreté doit concilier exigences standards et situations particulières

Christophe Blain & Jean Corfa
juil. 9, 2024
capgemini-engineering

Dans le nucléaire, la sûreté est une préoccupation de chaque instant et l’allongement prévu de la durée de vie des centrales existantes pose en la matière des questions inédites.

En effet, les équipements et les matériaux dont ils sont constitués (béton, métaux…) vont être soumis pour une durée supplémentaire, qui n’avait pas été anticipée à leur conception, à des contraintes souvent très fortes : température, pression, humidité, radiations, manipulations… Par ailleurs, chaque équipement deviendra un cas particulier car tous auront vieilli de façon différente en fonction de leur historique d’expositions, d’exploitation et de maintenance. Malgré tout, il faut dès à présent s’assurer que l’ensemble pourra continuer de fonctionner dans le respect absolu des conditions définies par les autorités.  

Prise en compte du vieillissement et des REX

C’est à la fonction sûreté qu’il appartient d’actualiser la démonstration de sûreté, quelle qu’elle soit la nature de l’installation et le stade de son cycle de vie. Cela veut dire être attentif à toutes les modifications matérielles, intellectuelles ou opérationnelles, au vieillissement ou aux dégradations des équipements, à la détection d’éventuels défauts passés jusqu’ici inaperçus, pour ensuite réaliser les études techniques qui nourriront la démonstration de sûreté : évaluation des impacts et de leur gravité, analyse des risques, règles de conduite…

Cela signifie aussi prendre en compte les REX des accidents ou incidents survenus sur les diverses installations nucléaires en France comme à l’étranger pour mieux appréhender des risques qui auraient pu être négligés ou sous-estimés. Ainsi, Fukushima a rappelé l’importance critique de pouvoir continuer à refroidir quoi qu’il arrive le cœur et donc d’être toujours en mesure d’alimenter électriquement les pompes. Ceci a notamment poussé les centrales à s’équiper de nouveaux groupes électrogènes diesel extrêmement robustes.

Une collaboration étroite avec les métiers

Lorsque, comme ici, un changement se révèle nécessaire, la sûreté intervient en amont du travail des métiers, en établissant le cadre de fonctionnement et l’ensemble des contraintes à respecter, et en aval, en vérifiant que les solutions proposées sont compatibles avec ces exigences, qu’elles n’ont pas d’effets de bord indésirables et que la démonstration de sûreté reste valable. Il faut en particulier s’assurer que les modifications envisagées ne dégradent pas les barrières de la sûreté en profondeur. Ou qu’il existe, à un autre niveau, une solution de compensation acceptable. Enfin, il faut remettre en cohérence toute la documentation en s’attachant à ce qu’elle soit suffisamment claire et complète pour éviter les erreurs d’interprétation et faciliter par la suite l’élaboration des documents d’exploitation.

Ce travail nécessite une collaboration étroite avec les différents corps de métiers – mécanique, électrique, génie civil… – car ce sont eux qui ont l’expertise pour quantifier les impacts, et concevoir et bâtir les solutions appropriées, temporaires ou définitives. Par exemple, irradié, l’acier durcit et devient cassant sous l’effet d’un choc thermique, ce qui pourrait arriver si un incident nécessitait une injection massive d’eau froide. Seuls les spécialistes des matériaux peuvent évaluer la résistance d’aciers anciens dans un tel scénario, la sûreté restant in fine garante du respect des normes.

Pour n’omettre aucune éventualité et évaluer au mieux les risques, la sûreté est aussi, et par-dessus tout, une affaire de méthode. La démarche traditionnelle consiste à partir du besoin de fonctionnement, à calculer les conditions nécessaires et à ajouter pour chaque paramètre d’amples marges de sécurité. Cependant, dans le contexte de la prolongation de l’exploitation, cette approche déterministe cède de plus en plus le pas à une approche probabiliste, fondée sur l’évaluation des marges d’incertitude en fonction de l’état réel des équipements. Ceci permet d’estimer le risque résiduel et de mettre ainsi en évidence les points de faiblesse potentiels. En couplant ces résultats à un arbre de défaillances présentant les incidents en cascade, on est en mesure d’identifier les principaux contributeurs au risque, et donc les aspects à renforcer en priorité.

Outre son niveau d’exigence sans équivalent, la sûreté dans le nucléaire a ceci de particulier qu’elle impose à des installations très différentes d’entrer dans un cadre commun extrêmement strict. Pour bien appréhender cette dualité entre situations particulières et exigences standards, il est donc très précieux de disposer, d’une part, d’une connaissance approfondie des enjeux et des méthodes que l’on peut retrouver dans l’ensemble de la filière, capitalisant sur les travaux et les REX réalisés pour tous les types d’installations (centrales, laboratoires, usines, traitement des déchets…), et, d’autre part, d’une maîtrise poussée des installations, des approches et des métiers propres à l’acteur concerné. Cette double expertise est essentielle pour être en mesure de challenger chaque choix, chaque décision, afin d’éliminer partout le pire ennemi de la sûreté : l’excès de confiance.

Nos auteurs

Christophe Blain

Lead Architecte Sûreté Nucléaire Capgemini Engineering

Jean Corfa

Responsable technique, Sofren Group

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