Passer au contenu
Frederic-Vincent
Intelligent Industry

Discussion avec le Groupe Renault

Le Capgemini Research Institute s’est entretenu avec Frédéric Vincent, Chief Information Officer du Groupe Renault, asur la transformation numérique de l’industrie automobile et ce à quoi ressemblera l’avenir de la mobilité.

STRATÉGIES COMMERCIALES ET IT ALIGNÉES

Comment la structure numérique et IT combinée de Renault a-t-elle contribué à accélérer sa transformation numérique ?

Lorsque nous avons entamé notre transformation numérique, nous nous sommes rendu compte que le service IT devait être modernisé pour capter toute la valeur du numérique. Nos équipes se sont principalement concentrées sur la gestion des contrats avec les fournisseurs ou la livraison de produits en fonction des coûts, de la qualité et de la planification. Nous n’étions pas concentrés sur les avantages de la technologie, le travail en cycles courts ou la compréhension des besoins des différentes activités au sein du groupe.

Un tel changement aurait généralement été un parcours très long. Pour aller plus vite, nous avons décidé en 2017 de créer une filiale dédiée à notre transformation numérique, baptisée Renault Digital. Nous avons pu embaucher plusieurs centaines de personnes avec les bonnes compétences qui ont pu immédiatement livrer des produits numériques pour l’entreprise. L’apport des compétences appropriées a également donné plus de temps aux équipes existantes pour se transformer.

Parallèlement, Renault Digital a pu jouer le rôle d’incubateur d’équipes et de projets informatiques. Pour cela, Renault Digital a du d’être proche des équipes SI/IT, et a donc attribué le même management aux deux équipes. Cela a permis à Renault Digital de disposer d’une autonomie suffisante pour prendre des décisions clés tout en étant étroitement connecté au reste du SI/IT, ce qui a permis à la filiale de se lancer dans cette transformation en tant qu’équipe unifiée.

Dans quelle mesure l’industrie automobile est-elle bien préparée à l’ère numérique axée sur les données ?

L’industrie automobile n’est pas particulièrement avancée dans l’utilisation efficace et innovante des données. Nous travaillons dur, d’abord pour créer des données utilisables ; deuxièmement, pour les recueillir ; et enfin, les rendre cohérentes et transversales au sein de l’entreprise.

Nous avons beaucoup de données aujourd’hui, mais nous n’avons pas été en mesure de les partager dans l’ensemble de l’industrie ou même entre les différentes unités commerciales de l’organisation car il n’y avait pas de référentiel standard ou commun. Dans les usines, par exemple, nous avons de nombreux robots différents provenant de différents fournisseurs qui ne parlent pas la même langue. Nous devions définir des standards pour nos données industrielles afin de les rendre interopérables. Ensuite, nous avons dû mettre toutes les données conservées dans un espace commun pour créer des liens significatifs. Pour y parvenir, nous avons créé un lac de données hébergé dans le cloud. Les technologies et capacités du cloud sont essentielles pour gérer un grand volume de données et évoluer très rapidement pour suivre l’évolution de nos besoins. De plus, nous devons partager toutes ces données et comme le coût de téléchargement vers le cloud est élevé, nous utilisons l’informatique de pointe pour analyser les données plus près du point de collecte, réduisant ainsi la latence [délai] dans le transfert de données sur un réseau. Après le calcul initial à proximité de la source de données, nous ne téléchargeons dans le cloud que les données pertinentes dont nous avons besoin pour les calculs à grande échelle ou interdomaines. Cela optimise les coûts et met les données à la disposition d’autres parties de l’organisation pour une utilisation interfonctionnelle. Grâce au cloud, nous avons créé une intégration transversale des données entre les fonctions. Cela nous a permis de commencer à utiliser les données de l’Industrie 4.0 dans les ventes, les données de l’après-vente dans l’ingénierie, etc., pour générer de la valeur.

Du côté des consommateurs, nous devons également être conscients du respect du Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) et des normes similaires. Nous devons rassembler toutes les données à l’intérieur d’un véhicule, car elles sont vitales pour la maintenance, la sécurité et la compréhension des modes d’utilisation. Nous avons 80 ECU dans une voiture, qui peuvent générer jusqu’à 25 Go de données par heure. [1] Mais, comme la plupart d’entre elles sont considérées comme des données personnelles, nous devons maintenir la transparence sur la façon dont nous y accédons, pour l’assurance client.

LOGICIELS ET SERVICES AU CŒUR

Comment voyez-vous le logiciel conduire le changement au sein de l’industrie automobile ?

La transformation pilotée par les logiciels redéfinit l’industrie automobile en termes de conception, de design et de fabrication des véhicules. Du côté des produits, le cœur d’un véhicule est désormais le logiciel, plutôt qu’un ensemble de matériel spécialisé.

Au fil du temps, les voitures deviendront plus intelligentes et auront la capacité d’apprendre. Lorsqu’un client achètera une voiture, celle-ci ne stagnera pas en tant que produit pendant sa durée de vie. Elle s’améliorera, apprendra et apportera plus de valeur à son propriétaire grâce aux technologies émergentes telles que l’IA, l’edge et le Cloud computing. Cette révolution sera comparable à celle du smartphone. Les cas d’utilisation associés à un smartphone ont explosé lorsqu’il était connecté au cloud. De la même manière, la voiture connectée conduira à l’invention de nouveaux services. Cela créera de nouveaux modèles commerciaux et de nouvelles opportunités de revenus pour les constructeurs automobiles.

Comment Renault intègre-t-il les logiciels dans les opérations de fabrication, en particulier les jumeaux numériques ?

Nous utilisons beaucoup les jumeaux numériques pour économiser du temps et de l’argent, obtenir une optimisation et une plus grande efficacité. Par exemple, dans la conception automobile, nous testions la sécurité en cas d’accident de voiture en lançant la voiture contre un mur. Pour obtenir les résultats souhaités, nous avons dû répéter ce processus plusieurs fois. Aujourd’hui, nous pouvons le faire à l’aide de la simulation numérique, où nous créons un jumeau numérique de la voiture dans le cloud et simulons l’accident pour mettre à jour, mettre à niveau et modifier les paramètres requis. Nous effectuons toujours un test physique avec une vraie voiture pour vérifier les résultats finaux, mais la simulation numérique des crash tests apporte des économies importantes.

Les jumeaux numériques nous aident à apporter des changements rapides dans notre ligne de fabrication. Lorsque nous avons une nouvelle voiture à produire, nous pouvons utiliser des jumeaux numériques pour vérifier et configurer la ligne de fabrication en quelques secondes. Nous pouvons simuler toutes les chaînes de fabrication possibles pour optimiser la configuration finale avant de construire une seule pièce. Une fois l’usine en service, un jumeau numérique permet d’anticiper les pannes, d’optimiser la consommation d’énergie et d’atteindre un meilleur rendement.

Quel rôle l’informatique jouera-t-elle dans la concrétisation de l’engagement de Renault à devenir davantage orienté logiciel ?

Les équipes SI/IT et Digital ont un rôle crucial à jouer pour permettre la transformation logicielle de Renault, en termes de définition de la stratégie voiture-logiciel et de conception de l’organisation nécessaire pour faire face à cette évolution logicielle. Nous travaillons en étroite collaboration avec les équipes d’ingénierie pour réaliser diverses applications de logiciels à l’intérieur de la voiture.

Lorsque vous installez un logiciel dans la voiture, la première chose à faire est de connecter la voiture au cloud, pour obtenir des informations utilisées pour la maintenance, la sécurité, la compréhension de l’utilisation des clients et pour les mises à jour logicielles. L’équipe IS/IT fournit les outils pour permettre cette connectivité cruciale au cloud. Nous avons créé une plate-forme de données de voiture dédiée à la gestion de cette connectivité.

De nombreuses opérations peuvent également être effectuées à l’extérieur de la voiture. Par exemple, nous avons une caméra devant la voiture qui est capable de prendre des photos des pneus durant un virage. En téléchargeant ces images sur le cloud, l’usure du pneu est détectée. Nous pouvons revenir à notre client en lui disant : « Vous avez un problème avec votre pneu. » Cela ouvre de nouvelles opportunités de services, allant de la maintenance à l’assurance. Le service informatique a la responsabilité de mettre en place le cadre pour activer ces services – en termes de cloud, de connectivité et d’intelligence artificielle (IA).

ALLER PLUS LOIN : DE LA POSSESSION À « L’UTILISATION »

Comment voyez-vous la mobilité évoluer dans les 5 à 10 prochaines années ?

Il y a trois axes principaux. La première évolution majeure est due à la réglementation CO2 et au passage à l’électrification. Bien que nous en soyons encore au début, la part de marché des voitures électriques augmente de jour en jour.

Le deuxième axe est l’utilisation croissante de logiciels à l’intérieur d’une voiture. D’ici 2030, nous prévoyons que 20 % de notre chiffre d’affaires proviendra des services, des données et du négoce d’énergie. Ces services peuvent inclure des mises à jour sur la qualité et l’entretien, l’assurance ou des suggestions de fonctionnalités qu’un client peut installer dans sa voiture pour améliorer l’expérience utilisateur.

Le troisième axe porte sur le changement de comportement des clients : passer de la « possession » à « l’utilisation » afin d’optimiser le coût des voitures. Nous considérons cela comme une tendance émergente, car, en particulier dans les grandes villes, posséder une voiture peut être un problème, mais les gens veulent toujours pouvoir en utiliser une. Cela crée de nouvelles entreprises, y compris l’autopartage et le hélage (-hailing en anglais), que nous appelons « la mobilité ».

[1] Venture Beat, “Vehicle telematics data could unlock $1.5 trillion in future revenue for automakers,” Décembre 2018.