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Cosmétique : l’IA réinvente la veille réglementaire

Benjamin Mathiesen et Camille Pierres
26 avril 2024

De la mise sur le marché d’un produit au respect de sa conformité tout au long de son cycle de vie, les industriels de la cosmétique doivent composer avec un bataillon de règles aussi nombreuses que mouvantes. D’où la nécessité d’une stratégie de veille réglementaire robuste, qui a tout intérêt à s’appuyer sur l’IA pour gagner en temps et en efficacité.

C’est un marché estimé à 511 milliards d’euros en 2021, selon une étude de Statista de juillet 2022. Les cosmétiques sont un vaste marché en croissance, qui recouvrent tous les produits destinés à une application sur le visage ou le corps humain : parfums, gels douche, déodorants, shampoings, maquillage, produits pour bébés… En raison d’enjeux environnementaux et sanitaires, leur commercialisation est particulièrement encadrée et soumise à une grande complexité juridique. La réglementation, propre à chaque pays, établit un cadre contraignant, auquel se greffent les normes guidant les processus industriels et opérationnels. En complément, les certifications garantissent la conformité à une norme ou à un label, celui-ci étant défini par des syndicats professionnels ou d’autres types d’organisations.

En cas de non-respect du cadre réglementaire, les conséquences peuvent être particulièrement lourdes, aussi bien au niveau financier qu’en termes d’image : retrait du marché, pénalités…S’assurer en permanence de la conformité sur ses différents marchés est donc crucial pour les industriels du secteur, aussi bien en termes de compétitivité que de maîtrise des risques.

Des règles nombreuses et en constante évolution

Sur un marché mondialisé, cet enchevêtrement de règles complexifie drastiquement la tâche. La première difficulté réside dans le recensement et l’interprétation des textes applicables à leurs produits cosmétiques pour chaque zone de commercialisation. En Europe, le règlement 1223/2009 relatif à l’industrie cosmétique, en vigueur depuis 2013 et applicable dans tous les États-membres, permet certes de dresser un cadre sur une zone relativement étendue. Mais ces textes peuvent différer sensiblement de ceux en vigueur aux États-Unis, au Canada, en Russie ou encore au Japon. Certains États recourent d’ailleurs à l’arsenal réglementaire pour défendre leurs champions nationaux contre les concurrents étrangers, parfois en changeant simplement quelques détails qui vont retarder la mise sur le marché de leurs produits. La veille s’impose alors comme le meilleur moyen de percer cette ligne défensive.

Second écueil à affronter : l’évolution réglementaire, rythmée par les décisions politiques ou les découvertes scientifiques sur la toxicité de telle ou telle substance. Son caractère imprévisible impose une veille permanente et particulièrement chronophage, qui ne permet pas pour autant d’éliminer tout risque : aucun industriel n’est assuré de pouvoir identifier en temps réel la publication d’un texte ayant un impact sur la conformité d’un de ses produits sur un marché donné. Certes, diverses sociétés proposent des services de veille réglementaire, mais leurs méthodes d’analyse comportent des biais et ne sauraient épouser les particularités de l’activité de chaque industriel.

Une nécessaire analyse des impacts

Enfin, s’il est nécessaire de se tenir informé de l’évolution des textes réglementaires, il importe également de pouvoir l’analyser de manière pertinente : quelles conséquences concrètes sur les activités de l’entreprise, à savoir la commercialisation de tel ou tel produit particulier, ou de l’ensemble d’une gamme ? Quels plans d’action mettre en œuvre (alternatives possibles en termes de formulation, de packaging…) ? Cette phase, primordiale pour appliquer les règles de conformité au développement des produits concernés, nécessite le plus souvent l’œil expert des sociétés savantes. En effet, il est souvent difficile pour les industriels de décrypter au premier abord l’impact opérationnel d’une modification réglementaire.

Jusqu’à présent, le secteur de la cosmétique devait affronter ces différents défis en recourant à des méthodes plus ou moins empiriques pour sélectionner les sources d’informations pertinentes et analyser les résultats obtenus, puis mettre en œuvre les décisions stratégiques nécessaires. Ces recherches, effectuées par mot-clé et par zone, portaient sur des volets aussi divers que la toxicologie, l’emballage ou les modalités de mise sur le marché, soit autant d’organismes différents à passer en revue, sans garantie d’exhaustivité. Autre difficulté : l’interprétation de publications généralement disponibles uniquement dans la langue locale.

De l’IA traditionnelle au LLM

En raison du manque de catalogues d’exemples annotés, l’utilisation de l’IA pour comparer les textes réglementaires et analyser leur évolution reste encore relativement marginale. Technologie la plus utilisée, la recherche sémantique permet d’ores et déjà de catégoriser les sites, les documents et même les phrases individuelles. Elle y parvient avec une grande finesse. Mieux, la priorisation des résultats ne repose pas uniquement sur la présence de mots-clés et les réponses aux requêtes deviennent plus pertinentes. Un gain de temps précieux, même si l’interprétation humaine demeure incontournable.

L’irruption de l’IA générative, plus spécifiquement la catégorie des “large language models (LLM)”, marque une nouvelle étape décisive : par le jeu d’entraînement aux questions réponses typiques pour une tâche donnée, le prompt engineering permet de repérer très rapidement les changements opérés dans une base documentaire. Comparé aux moteurs de recherche sémantique, les LLM fonctionnent très bien sans même qu’une annotation exhaustive des textes soit nécessaire. Leur connaissance générale du langage suffit à repérer et à exploiter les indices contextuels. L’IA générative doit cependant s’appuyer sur l’IA traditionnelle pour évaluer la nature (fabrication, formulation, emballage, étiquetage…) et la portée d’un changement réglementaire sur une gamme de produits. Cette association, sous contrôle de l’humain, offre des résultats particulièrement significatifs en termes de productivité et d’exhaustivité.

Au-delà de la simple recherche documentaire, un LLM est capable d’interagir avec plusieurs bases de données différentes, permettant aux scientifiques de mettre rapidement en œuvre les plans d’action nécessaires, par exemple en matière de modification d’une formulation. En identifiant les ingrédients alternatifs et leurs propriétés chimiques ou sensorielles, il joue le rôle d’un formidable accélérateur du travail de recherche.

Ces solutions d’intelligence augmentée au service de l’humain réduisent les bruits, c’est-à-dire les informations non pertinentes, et proposent des outils entièrement personnalisés et adaptés aux enjeux de veille réglementaire. À la clé, des gains considérables de productivité et une meilleure maîtrise des risques tout en gardant l’humain au centre.

Auteurs

Camille Pierres

Senior Expert – Center of Excellence Compliance & Performance in Life Sciences
Camille a plus de 20 ans d’expérience dans le secteur pharmaceutique, dont 4 ans de conseil en sciences de la vie, 8 ans en tant qu’expert en qualité pharmaceutique auprès de l’Autorité nationale française et 9 ans dans l’industrie pharmaceutique dans la recherche en chimie médicinale.

Benjamin Mathiesen

Lead Data Scientist, Hybrid Intelligence
Benjamin a 20 ans d’expérience de recherche dans la modélisation et l’exploration de données, la programmation scientifique, l’analyse numérique et les statistiques, avec un sur le big data, la data science et l’intelligence artificielle. C’est également un expert en rédaction scientifique et technique.

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