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Biodiversité : l’engagement des entreprises doit être total  

Aurélie Gillon
5 avril 2023
capgemini-invent

Alors que la COP 15 qui s’est tenue à Montréal en décembre 2022, a abouti à un accord historique pour protéger la nature, les entreprises vont devoir mesurer leur impact sur la biodiversité, et seront incitées à plus de transparence. Certaines organisations vont devoir repenser tout ou partie de leur modèle d’affaires, avec à la clé des opportunités de création de valeur.

C’est un constat alarmant que partage la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) – le GIEC de la biodiversité : « 75 % de la surface terrestre est altérée de manière significative, 66 % des océans subissent des incidences cumulatives de plus en plus importantes et plus de 85 % de la surface des zones humides ont disparu » depuis 1970.  

La biodiversité, chantier méconnu de la transition écologique ? 

Si l’impératif de la réduction des émissions de gaz à effet de serre est à l’agenda de toutes les organisations avec des feuilles de route établies et des méthodologies en place, ce n’est pas encore le cas pour enrayer le déclin de la biodiversité, qui touche à la fois les espèces, leur diversité génétique et les écosystèmes.  

Cinq grands facteurs expliquent cette érosion : l’utilisation des sols et des milieux aquatiques ; la surexploitation ; le changement climatique ; la pollution ; l’introduction d’espèces envahissantes exotiques. Or, toutes les entreprises, quel que soit leur secteur d’activité, ont un impact sur la biodiversité et se doivent désormais d’agir pour la protéger. 

Non seulement la biodiversité est indispensable à la poursuite de toute activité humaine, mais plus de la moitié du PIB mondial en dépend directement. De plus, face à la crise climatique, la biodiversité offre des solutions basées sur la nature, par exemple la restauration d’espaces naturels qui capturent du carbone, en particulier les zones humides comme les mangroves. 

Heureusement, la transition s’accélère. Dans le cadre de la COP15 Biodiversité, 195 Etats et l’Union Européenne se sont engagés à prendre des « mesures urgentes » pour protéger 30 % de la planète, restaurer 30 % des écosystèmes et doubler les ressources financières destinées à la protection de la nature d’ici à 2030. Pour la première fois, les entreprises étaient présentes en nombre, en particulier les leaders de chaque secteur.

Les organisations ont bien saisi l’importance de la biodiversité pour leur business, et l’avantage concurrentiel que cela pouvait leur offrir. 

En effet, les entreprises ont un rôle essentiel à jouer pour concrétiser cette ambition. Au-delà du fait que les États entendent les encourager à évaluer et à faire connaître régulièrement leurs risques, dépendances et impacts directs et indirects sur la biodiversité, la pression croissante des investisseurs, des collaborateurs et des consommateurs est un sérieux argument qui pèse désormais dans la balance en faveur de la biodiversité. 

Pour atteindre ces objectifs ambitieux, les entreprises doivent se mettre en ordre de marche pour mesurer l’ensemble des pressions qu’elles exercent sur l’écosystème du vivant : artificialisation des sols, destruction des forêts et des zones humides, pollution de l’air, des terres, des rivières et des océans, prélèvement d’espèces sauvages ou encore pollution sonore et lumineuse… La mise en place d’une méthodologie claire et universelle apparaît alors comme une condition sine qua non à l’analyse de leur impact. 

Mesurer l’impact, une étape incontournable 

Aujourd’hui, le sujet est encore à défricher, il manque une norme universelle : les entreprises ont encore été très peu confrontées à ce type de reporting. Elles disposent certes de quelques outils épars, par exemple pour mesurer le nombre de kilomètres carrés protégés ou encore l’utilisation de pesticides, mais à ce jour, aucune méthode claire ne leur permet d’avoir une vision exhaustive de leur impact, et donc de prioriser leurs actions.  

Pour pallier ce retard, plusieurs dispositifs réglementaires viennent encadrer l’action des entreprises. La Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD, directive européenne), votée en décembre 2022, sera mise en application en janvier 2024, et obligera les entreprises à présenter les principaux risques liés à leur politique sociale et environnementale, avec un volet biodiversité, et à mettre en place des indicateurs-clés de performance extra-financière. 

À cette directive s’ajoutent deux nouveaux cadres réglementaires. D’une part, la coalition internationale des Science Based Target (SBT), composée de 50 organisations, va publier ses objectifs fondés sur la science pour protéger la nature, les Science Based Target for Nature (SBTN). L’objectif étant de rééquilibrer notre système planétaire et inverser la courbe de la perte de biodiversité grâce à des « objectifs mesurables, applicables et délimités dans le temps, basés sur les meilleures données scientifiques disponibles ».  

D’autre part, la Taskforce on Nature-related Financial Disclosures (TNFD), groupe de travail informel sur le reporting financier lié à la nature, auquel participe la coalition SBTN, va fournir un cadre standardisé aux entreprises et institutions financières. Son objectif est de rediriger les flux financiers mondiaux au profit des activités vertueuses. La publication des recommandations de la TNFD est attendue au second semestre 2023. Comme les SBTN, leur mise en application est prévue en Europe d’ici à 2026. Ce cadre est pressenti comme celui qui fera foi au niveau mondial, et la « version bêta » permet aux entreprises membres du Forum TNFD, comme Capgemini, de commencer à le tester. 

Mettre en place une stratégie biodiversité 

Plus largement, la mise en place de ce cadre réglementaire doit conduire et inciter les entreprises à revisiter leur chaîne de valeur, voire à repenser leur modèle d’affaires pour certaines, à l’instar des démarches déjà lancées en matière de réduction d’émissions de carbone. La question est centrale pour faire de cette transition un moteur de création de valeur. Cinq grandes étapes permettent d’orienter une stratégie :  

  1. Sensibiliser toute l’entreprise à ces enjeux, y compris le top management 
  2. Évaluer l’impact de l’activité de son organisation, mais aussi celui de l’ensemble de la chaîne de valeur (en regardant chacune des pressions : usage des sols et des milieux aquatiques, surexploitation de la nature…) 
  3. Interpréter et prioriser les actions à mettre en place à partir du constat 
  4. Mesurer l’impact  
  5. Agir en mettant en place un cadre d’action, souvent lié au cadre de reporting ESG, et intégrer la biodiversité à sa politique liée à l’environnement 

À terme, l’établissement d’une feuille de route claire permet non seulement de limiter l’impact des activités de l’entreprise sur la biodiversité mais aussi de faire perdurer son activité.

Sans ressources ni biodiversité en bonne santé, aucune entreprise ne pourrait poursuivre son activité économique dans des conditions satisfaisantes.  

Tech et biodiversité : les outils pour accélérer  

La technologie, dès lors qu’elle est utilisée de manière raisonnée, est appelée à jouer un rôle important dans la protection de la biodiversité, voire à participer à la régénération de la nature.  

D’abord, elle offre des outils de mesure et de reporting sur l’impact tels que le suivi de la couverture forestière en temps réel par images satellites pour évaluer la déforestation ; prothèse microélectronique pour transformer les méduses en capteurs vivants de données en temps réel sur les océans ; définition d’un « Internet des objets sauvages » (« Internet of wild things ») qui utilise les technologies de l’IoT pour surveiller les changements d’habitat et mettre fin au braconnage notamment. ; usage de la data et de l’IA. Les exemples ne manquent pas, illustrant l’enthousiasme des acteurs de la tech à s’engager dans le combat. 

La technologie fournit également des solutions pour réduire l’emprise de l’activité au sol, en proposant notamment une agriculture plus efficiente. En matière d’énergies renouvelables, il devient possible de contrer des effets négatifs des éoliennes grâce à des capteurs, qui, en détectant les mouvements d’oiseaux ou de chauve-souris qui approchent, permettent d’arrêter automatiquement le mouvement des hélices. Autre exemple, Naturemetrics a mis au point l’eDNA, une technologie qui analyse les traces d’ADN dans l’eau et le sol, pour retrouver quelles espèces sont présentes dans un écosystème donné. La société Biocarbon Engineering, quant à elle, propose de planter des arbres par des drones. Avec le biomimétisme, la technologie peut s’inspirer du vivant pour se mettre à son service. 

S’engager en faveur de la préservation de la biodiversité constitue donc une formidable opportunité d’innovation et de création de valeur pour les entreprises tout en agissant concrètement pour regénérer notre environnement et contribuer aux politiques sur le climat.  

 

Auteure

Aurélie Gillon

Directrice biodiversité
Aurélie est Directrice au sein de l’entité “Sustainable Futures” du cabinet de conseil Capgemini Invent. Elle possède une double formation initiale menée parallèlement à l’ENS Ulm et HEC, et est par ailleurs coach certifiée. Dès ses débuts professionnels, en 2010, elle a inscrit le développement durable comme fil conducteur de sa carrière, tout d’abord à la tête d’une start-up de green cosmétiques puis sur l’ensemble de ses interventions en tant que consultante auprès d’une grande variété d’industries (Luxe, Cosmétique, Pharmacie, Energie, Finance, …).