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L’agile pour la transformation numérique du secteur public

Capgemini
9 novembre 2022

Le mot « Agile » s’installe de plus en plus dans le vocabulaire du secteur public comme une nouvelle approche pour répondre à des problématiques d’organisation et de performance. Était-il temps ?

Marta Thongsavarn : L’agile prend sa source dans le manifeste agile qui est une déclaration rédigée par des développeurs en 2001. Ils voulaient tous repenser les processus de développement de logiciels. 21 ans plus tard, nous n’en sommes plus à découvrir l’Agile, mais à partager des bonnes pratiques, car nos pratiques Lean & Agile ont fait leurs preuves et sont à maturité.

Par ailleurs, la lutte contre le réchauffement climatique, l’épuisement des ressources et des terres rares, la crise énergétique que nous subissons de plein fouet nous obligent aussi à changer nos modes de pensée et de fonctionnement.

Travailler de manière frugale et itérative permet de répondre à ces enjeux environnementaux.

Marta Thongsavarn : En effet, la méthode de travail mise en œuvre pour conduire les projets en agile est centrée sur les usagers et leurs besoins. En étant à l’écoute des besoins des usagers d’une part, et en avançant à petits pas d’autre part, il est possible de constamment s’assurer que ce que l’on développe, convient et correspond aux attentes des usagers. En collectant leurs retours, et en tirant des enseignements de ces rétro actions, il est possible d’ajuster son plan de travail et de ne fournir QUE le travail nécessaire. Cette méthode Agile de travail itératif et incrémental permet de réduire de manière significative la quantité de code informatique produite, et de rentrer dans une démarche d’amélioration continue et de gestion de cycle de vie de ce qui est produit.

L’agilité, par ses qualités intrinsèques de recherche d’efficience et de sobriété numérique, nous permet de réduire l’impact environnemental du numérique. Et quand on sait que le secteur du numérique génère plus de gaz à effet de serre que l’aviation… on se dit qu’il est vraiment temps d’adopter les méthodes Agile et de se lancer sans plus attendre !

Chabane Degdag : L’Agilité, longtemps considérée comme une méthode disruptive appliquée par quelques initiés ou par les start-ups est devenue un standard de travail dans la grande majorité des entreprises dans lesquelles nous intervenons, et ce quelle que soit leur taille et leur secteur d’activité.

L’Agilité peut se résumer en un principe simple : « éviter le gaspillage de temps et de ressources ». L’Agilité permet également de mitiger grandement les risques et offre des possibilités d’ajustement hors de portée avec des méthodes « classiques ».

Pour nos clients, l’Agilité représente également un enjeu de recrutement : proposer ces méthodes augmente l’attractivité de leur entreprise pour les jeunes diplômés et les talents.

L’Agilité apporte aussi une réponse aux projets « tunnels » qui suscitent l’attente des usagers et des agents. Peu importent les événements qui peuvent survenir durant la mise en œuvre d’un projet agile, celui-ci offre la possibilité de livrer des éléments partiels, mais concrets, très tôt après le lancement du projet, puis régulièrement grâce à son organisation itérative et son principe de priorisation par la valeur. Ainsi, l’Agilité résonne particulièrement avec les enjeux actuels auxquels fait face le secteur public.

De quoi parle-t-on lorsqu’on évoque la méthode Agile ? plus spécifiquement pour le secteur public et les De quoi parle-t-on lorsqu’on évoque la méthode Agile ? plus spécifiquement pour le secteur public et les collectivités territoriales ?

Marta Thongsavarn : Le secteur public et les collectivités territoriales doivent constamment s’adapter aux changements : de présidence, de gouvernement, de politiques (avec les réformes qui en découlent) mais aussi de changement dans la gestion budgétaire et financière, etc. Le tout en faisant face aux exigences de qualité et d’efficacité des services publics attendus par des administrés désireux de bénéficier de la même qualité de service que ceux qu’ils ont « à la maison » avec les GAFAM !

Dans un environnement en constante évolution, s’appuyer sur des méthodes Agile, c’est se donner la possibilité d’accompagner le mouvement tout en étant complétement aligné avec les piliers du service public. 

Les lois du service public tel que conçu par Louis Rolland dans les années 1930 sont au nombre de trois : il s’agit tout d’abord du principe de continuité du service public, de mutabilité du service public et d’égalité du service public.

  • Le principe de continuité du service public

Ce principe prescrit un fonctionnement régulier des services publics, sans interruption autre que celles autorisées par la législation

Les méthodes Agile permettent de basculer d’un mode de gestion de projet à un mode de gestion de produit-service en envisageant le produit ou le service dans sa globalité. Suivi tout au long de son cycle de vie, le produit-service et constamment monitoré pour s’inscrire dans une démarche Qualité et d’amélioration continue ! Le « DevSecOps » qui désigne à la fois le développement, la sécurité et l’exploitation et qui accompagne toute mise en place de méthode agile, permet de concevoir des plateformes qui intègrent la fiabilité, la robustesse, la sécurité de bout-en-bout. Le tout afin d’éviter les interruptions de service et/ou d’augmenter la vélocité des reprises d’activités

  • Le principe de mutabilité du service public

Nous sommes là au cœur du principe d’adaptation constante qui fait l’essence même des méthodes Agile qui place l’usager au centre de ses attentions pour prioriser la création rapide et régulière de valeur, s’adapter aux progrès techniques, aux besoins des usagers et plus largement de toutes circonstances nouvelles et changeantes. Le tout avec le plus de fiabilité possible en testant et tirant les enseignements des retours des usagers à chaque petit pas effectué lors d’un cycle de développement

  • Le principe d’égalité et de neutralité du service public

Ce principe fait échos aux valeurs cœur de l’agilité qui est un cadre de collaboration basé sur la confiance, la transparence, le management visuel qui permet de rendre visible le flux de création de valeur des usines logicielles afin de s’assurer que l’on délivre plus tôt plus de valeur aux usagers.

Chabane Degdag : Le secteur public et les collectivités territoriales sont particulièrement exposés aux orientations et aux décisions politiques. La survenance « d’évènements exceptionnels » (élections, changements ou réorientations de politiques publiques) qui remettent en question tout ou partie d’un programme et qui rend nécessaire sa restructuration y sont de fait plus fréquente qu’ailleurs.

De manière générale, les acteurs publics doivent faire face à un contexte géopolitique particulièrement intense ces dernières années (crise sanitaire, crise énergétique, crise économique, risque climatique, guerres …) mais aussi à l’évolution des usages liés à l’avènement du digital. L’administration se doit d’adapter son mode de travail pour faire face à ces changements.

L’Agilité est donc le moyen et l’opportunité de se doter d’une organisation orientée vers ses agents et ses usagers, ouverte et disposée aux changements et capable de pivoter rapidement vers de nouvelles priorités, chaque fois que cela est nécessaire, tout en renforçant la transparence et la traçabilité des processus décisionnels.

Être Agile pour une administration, c’est garantir de pouvoir adapter son action aux attentes de la société, dans des délais raisonnables, en minimisant l’impact financier que le pivot provoquera, et en agissant en transparence.

Pourquoi faire de l’Agile ?

Marta Thongsavarn : Dans un monde VUCA (volatile, incertain, complexe et ambiguë) il faut pouvoir faire face aux changements dans un environnement de plus en plus complexe et en perpétuel mouvement fonctionnel, technologique, réglementaire et financier

Réchauffement climatique, crise énergétique, tension sur les compétences IT, et risques pandémiques obligent plus que jamais ; les entreprises doivent déployer des efforts considérables pour s’adapter aux changements de contexte, réduire leurs délais de mise sur le marché pour rester compétitif et satisfaire leurs   agents et usagers. Il faut dorénavant apprendre à se transformer pour générer autant de valeur avec moins de ressources… être plus Frugal, être Lean et Agile !

Chabane Degdag : L’Agile est déployé de plus en plus largement quel que soit le type ou la taille de l’organisation et nous disposons aujourd’hui d’un retour d’expérience important sur sa mise en œuvre.

L’Agile apporte des résultats concrets confirmés par les entreprises qui la pratiquent :

  • 70% constatent que la gestion des changements de priorités est facilitée
  • 70% constatent une meilleure visibilité des travaux menés pour l’ensemble des contributeurs
  • 66% constatent un meilleur alignement des organisations métiers et IT
  • 64% constatent une intensification des livraisons et un Time-To-Market qui se réduit
  • 60% constatent une amélioration de productivité des équipes

L’Agile apparaît donc de plus en plus comme évidence : la question n’est plus « pourquoi faire de l’agile » mais « plutôt comment faire de l’agile » ?

 * Source : 15th State of Agile Report

Concrètement, qu’est-ce que la méthode Agile change dans le travail des agents ? En quoi notre offre d’accompagnement est-elle une réponse adaptée aux enjeux actuels ?

Marta Thongsavarn : Tout d’abord, nous apportons des conseils et des modèles pour pouvoir disposer de marchés Lean et Agile. En Agile, la relation contractuelle doit être adaptée, car l’engagement ne peut plus porter un périmètre fonctionnel définitif. La particularité du secteur public est ici de l’adapter tout en restant dans le cadre du code des marchés publics.

Nous partageons nos expériences acquises auprès d’autres acteurs du secteur public et des collectivités territoriales et conseillons les organisations dans leur transformation.

Puis, plus concrètent, nous accompagnons les agents dans la mise en œuvre quotidienne de nouvelles pratiques de collaboration en rapprochant les équipes, en connectant les talents !  Les équipes informatiques et les équipes métiers, internes ou externes à l’organisation, vont continuellement travailler ensemble pour créer de la valeur, en équipe intégrée malgré des rattachements hiérarchiques différents.

Nous les aidons ainsi à mettre en place les pratiques, process et artefacts pour passer d’un pilotage par les « tâches accomplies » à un pilotage par la Valeur. En Agile, l’engagement porte sur la création de valeur pour l’usager final, sur l’innovation, ou encore sur la réactivité et non sur un périmètre fonctionnel prédéterminé à l’avance.

Chabane Degdag : Chaque institution, chaque organisation, chaque agent est unique. L’Agilité apporte des réponses, un cadre, des pratiques globales à des problématiques génériques. Mais nous avons la conviction que l’approche doit toujours être personnalisée : notre rôle est d’aider les institutions, les organisations, les individus à s’approprier la méthode agile.

L’Agilité s’inscrit comme un accélérateur des solutions à mettre en œuvre : non pas comme un cadre et des méthodes strictes, mais plutôt comme une boite à outils offrant des nouvelles perspectives. Notre rôle de consultants est d’accompagner les agents des services publics à comprendre ces outils et s’en emparer, pour devenir autonomes et indépendants.

Par notre connaissance approfondie des enjeux de l’administration, mais aussi dans la sphère privée ou à l’international, nous avons la capacité à inspirer et inciter nos clients à adopter des solutions plus adaptées à leur contexte et situation. Nous les accompagnons sur les leviers à activer pour que leur organisation soit performante, responsabilisante et engageante sur les objectifs fixés.

Quels retours d’expérience pouvez-vous partager avec nous ?

Marta Thongsavarn : Pour devenir une Fintech avec un réseau, Bpifrance s’est inspiré des modèles opérationnels des Fintechs, afin de proposer :

  • Des innovations qui replacent le client au centre de leurs offres, reposant sur l’agilité et une plus grande fluidité des outils. (parcours clients optimisé, interfaces conviviales, simples et transparentes sur les prix).
  • De nouvelles façons de travailler plus flexibles et agiles qui repensent l’organisation du travail en mettant l’accent sur la culture de la collaboration entre collaborateurs, clients et métiers Pour garantir le succès et accélérer la transformation, le cadre de collaboration Lean & Agile SAFE a été retenu comme cadre de travail, afin de déployer l’agilité à grande échelle au sein de l’entreprise : 7 trains et 3 tramways circulent actuellement chez Bpifrance.

Chabane Degdag : Nos consultants ont travaillé avec le ministère de la Justice sur un projet de numérisation du juridique. Le ministère a lancé le programme PPSMJ (Personnes Placées Sous les Mains de la Justice). L’objectif : permettre que les justiciables puissent, grâce au numérique, avoir un meilleur accès à l’information juridique.

Nous avons adopté une approche non conventionnelle, en privilégiant l’aspect relationnel : nous n’avons pas commencé par créer des trains, nous n’avons pas introduit de nouveaux rôles, nous n’avons pas formé les agents à l’agilité.

Nous avons commencé par casser les processus, « désiloter » les organisations afin de rapprocher les métiers de la DSI. Ensuite, nous avons revu toute la comitologie en place. D’autre part, nous avons travaillé avec les équipes afin de résoudre des problèmes structurels, notamment sur l’accès à l’information (transparence) et l’amélioration de la performance opérationnelle.

Ces premières étapes ont permis de libérer 30% de leur temps. Un temps qu’ils ont alors pu consacrer au travail de transformation. Nous avons pu alors passer à l’étape suivante : monter l’équipe pionnière agile. Nous les avons donc aidés à monter une première équipe ONE TEAM, nous avons coaché les collaborateurs métiers et SI, introduit de nouveaux rôles, formé les agents et assisté sur plusieurs sprints.

Les résultats étaient tangibles et rapides, cela nous a ainsi permis de « scaler » la transformation avec la mise en place d’autres équipes et la montée à l’échelle l’organisation à la demande du ministère de la Justice qui s’est montré entièrement convaincu par l’expérimentation de l’équipe pionnière.

Aujourd’hui PPMSJ, ce sont 6 trains agiles, plusieurs centaines de collaborateurs impliqués, des métiers et un DSI toujours plus soudé et de nouvelles fonctionnalités déployées toutes les semaines.

Dans le futur, quelles seront les tendances et les enjeux de l’Agilité pour le secteur public ?

Marta Thongsavarn :

  1. Sécuriser l’exécution contractuelle et budgétaire des marchés publics : il est nécessaire de déployer un cadre contractuel permettant la mise en application d’un travail agile, itératif, orchestré de manière flexible dans son pilotage. Et qui permettra d’atténuer le risque sur une base régulière tout au long du développement.
  2. Sécuriser l’approvisionnement de talents : la guerre des talents fait rage, pour attirer, recruter et fidéliser les talents, les entreprises doivent utiliser des méthodes de collaboration modernes, des environnements de travail attractifs, des trajectoires d’évolution motivante. Travailler sur des technologies du passé demande des efforts considérables et l’énergie déployée à former de jeunes informaticiens à coder en INFORMIX 4GL ou en COBOL pour faire face à un principe de réalité informatique pourrait être mieux utilisé !
  3. Connecter les talents pour favoriser l’autonomie et la confiance aux dépens de la subordination et du contrôle, l’intelligence collective en co-construction aux dépens de l’exécution rigide de plans figés, les démarches promouvant les tests et l’expérimentation aux dépens des lourdeurs administratives en garantissant le droit à l’erreur pour entreprendre, échouer rapidement pour apprendre plus vite.
  4. Placer l’usager au cœur de ses préoccupations pour mieux comprendre ses besoins, prendre en compte ses retours, et garantir la pertinence, l’efficacité et la continuité des services offerts aux usagers.

Le Lean & l’agile peuvent ainsi contribuer à la modernisation de l’action publique avec un ancrage fort dans les piliers du service public : égalité, continuité et adaptabilité illustrée par le principe de mutabilité du service public, « d’adaptation constante du service public ». L’approche centrée sur le citoyen (Citizen-Centric) permet à l’usager-consommateur d’attendre le meilleur de ce que le service public peut lui offrir.

Chabane Degdag : L’Agilité est un formidable accélérateur de la performance opérationnelle et de la production de valeur. Aujourd’hui, pour aller encore plus loin dans l’agilité, il est très intéressant d’intégrer la démarche produit.

L’IT a longtemps été géré par les services informatiques avant de se transformer en SI et de devenir un soutien aux enjeux et ambitions de l’administration. Les évolutions sont gérées comme des projets et l’agilité permet d’introduire les principes d’incréments et d’itérations avec la possibilité de délivrer plus régulièrement. Mais la valorisation des éléments du « backlog » et la gestion PMV sont encore perfectibles. La prochaine étape donc serait de considérer le SI comme un produit, une multitude de produits, voire une plateforme qui serait en perpétuelle évolution et qui en deviendrait un actif de l’État qui serait géré par un Product Management afin d’orienter le travail des équipes vers la maximisation de la valeur délivrée.