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La semaine de 4 jours dans la fonction publique : un levier d’attractivité ?

Benjamin Morvan, Sarah Ouadah, Alice Robichon
31 mars 2023
capgemini-invent

Innovation sociale la plus en vue de ces derniers mois, la semaine de 4 jours profite d’un véritable plébiscite dans la fonction publique avec près de 79 % des agents du secteur qui y sont favorables1

Cette actualité percute aujourd’hui les problématiques d’attractivité dans la fonction publique qui sont structurelles depuis de nombreuses années et qui ont été mises en lumière notamment par la crise du Covid19 et les pénuries de personnel soignants. Révélée par des premières initiatives nationales et mondiales, la semaine de 4 jours représenterait-elle une des clefs pour répondre au défi de l’attractivité ?

La semaine de 4 jours, une définition encore à préciser

Si le concept de semaine de 4 jours est simple à appréhender, il recouvre un spectre important de réalités. Ainsi la semaine de 4 jours a plusieurs définitions : il peut s’agir d’un temps de travail équivalent concentré sur 4 jours, d’une réduction globale du temps de travail avec un maintien de salaire ou encore d’une réduction du temps de travail et d’une baisse du salaire. Pareillement, la semaine de 4 jours peut être mise en place comme une semaine raccourcie de la même manière pour tous les salariés ou d’une semaine raccourcie de manière individualisée en fonction des contraintes opérationnelles et individuelles. La semaine de 4 jours ne recouvre donc pas une réalité unique, applicable de manière générique à l’ensemble des entreprises. Il apparaît évident que les contraintes du secteur touristique par exemple ne sauraient être les mêmes que celles du secteur public et de son obligation de service minimum.

La semaine de 4 jours, un débat mondial

De janvier à décembre 2022, la plus grande étude2 au niveau mondial sur la semaine de 4 jours a été menée avec succès au Royaume-Uni. Basée sur le principe d’une réduction du temps de travail mais du maintien d’une paie à 100%, les résultats publiés en début d’année 2023 démontrent un succès unanime : 92% des entreprises ayant participé à l’étude ont décidé de continuer à utiliser la semaine de 4 jours, le nombre de départs de salariés a baissé de 57% et la croissance des entreprises pilotes a augmenté de 35%.

En Belgique, c’est un projet de réforme intégrant la semaine de 4 jours qui a été adopté en novembre 2022 dans l’objectif de “donner aux employés plus de liberté et de flexibilité pour mieux concilier vie privée et vie professionnelle”. Les conditions sont les suivantes : accord de l’employeur, travail à temps plein en quatre jours (limite de 45h/semaine), flexibilité d’organisation (c’est-à-dire, travailler “un peu plus une semaine et un peu moins la suivante”).

D’autres essais auront également lieu cette année en Irlande, aux Etats-Unis, au Canada, en Australie et en Nouvelle Zélande.

Un contexte de pénurie de personnels marqué dans le secteur public

Les expérimentations à l’échelle mondiale se font dans un contexte très particulier pour la France. Depuis 2021, le marché de l’emploi en France s’est considérablement tendu avec 3 millions de recrutements en 20223 et 4,5 millions de recrutements prévus en 20234.Du côté de la fonction publique, les besoins sont en nette augmentation de près de 11 000 postes d’agents en création dans le projet de loi de finances 2023, et ce dans quasiment tous les ministères.

Pour autant, marqueur d’un secteur en pleine crise d’attractivité, le nombre de candidats à la fonction publique baisse : la DGAFP relève une chute du nombre de candidats présents aux concours de la fonction publique de 40% entre 2010 et 20205. Logiquement, le nombre de postes vacants augmente. Pour exemple, en 2021, sur 106 postes de directeurs d’établissements sanitaires et sociaux ouverts, 41 restent vacants tandis que pour la rentrée 2022.

A ces niveaux, le taux de vacance a un impact sur la qualité du service public. Ce constat force à ouvrir une réflexion sur ce qui pourrait être un argument phare d’attractivité : la semaine de 4 jours dans la sphère publique.

Vers la création d’une nouvelle attractivité pour la fonction publique

La réponse du monde du travail à la crise Covid a mis en exergue une formidable inégalité de traitement. Si elle a été un accélérateur des nouveaux modes de travail pour les populations majoritairement cadres (flexibilité géographique, télétravail à la demande, mode hybride par défaut), elle a mis en lumière les contraintes liées aux métiers de « première et seconde ligne » principalement, basés sur une logique horaire. Des métiers devant être effectués physiquement, dans un lieu prédéterminé et à des horaires elles aussi prédéterminées.

La semaine de 4 jours est ainsi une opportunité de répondre en partie au manque de personnels que connait le service public d’un côté et de répondre aux inégalités créées par le télétravail de l’autre côté. A ce titre l’expérience menée au Royaume-Uni en 2022 est un puissant démonstrateur : le nombre de départ sur la période étudiée a baissé de 57%, 39% des salariés participant à l’essai ont reporté une baisse du niveau de stress, 96% des salariés ont déclaré vouloir continuer à travailler sur la base d’une semaine de 4 jours.

Il convient aussi d’écarter dès à présent l’argument sur l’impossibilité d’imaginer une semaine de 4 jours dans des services ayant besoin d’accueillir du public ou de répondre aux demandes des citoyens. La mise en place d’une semaine de 4 jours peut tout à fait s’accompagner de la mise en place d’un système de rotation permettant d’ailleurs une plus large amplitude horaire à l’instar de ce qui peut se voir dans la restauration6.

Par ailleurs, la semaine de 4 jours peut rendre certains métiers bien plus inclusifs, en donnant davantage de flexibilité dans la gestion du temps aux agents jouant le rôle d’aidants, en situation de handicap ou s’occupant d’enfants. La réduction des déplacements liés à une réduction du nombre de jours travaillés peut également contribuer à réduire l’empreinte environnementale de la fonction publique. Enfin, l’automatisation de certaines tâches pourrait être accélérée et mise au service de la réduction du temps de travail dans ce cadre.

Des modalités à préciser pour faire adhérer à la semaine de 4 jours

Socialement novatrice, la semaine de 4 jours pourrait permettre à la fonction publique d’être précurseuse et de regagner en attractivité comparativement à l’emploi privé. Comme le relève le journal Le Monde, deux services publics testent actuellement la semaine de quatre jours sans réduction du temps de travail : l’URSSAF de Picardie et la CNAV. Malheureusement, ces enquêtes souffrent d’échantillons si faibles que les résultats ne seront ni exploitables ni ne permettront une généralisation.

Finalement, cette organisation nécessite de s’adapter au rythme des agents, qui sont encore peu à nombreux à être volontaires pour l’expérimenter. Afin de garantir le succès de sa mise en œuvre, de nombreuses questions devraient être résolues : le maintien du service minimum, la réorganisation des services et l’étude des contraintes opérationnelles et le maintien d’un sentiment d’appartenance, etc.


  1. Opinionway (2023). Les agents du service public et le télétravail. ↩︎
  2. 4 Day a week global (2023). The 4 day week UK results. ↩︎
  3. Pôle Emploi (2023). Offres pourvues et abandons de recrutement en 2022. ↩︎
  4. Adecco Analytics (2022). Baromètre de l’emploi. ↩︎
  5. Direction générale de l’administration et de la fonction publique (2022). Stabilité des recrutements externes de fonctionnaires de l’État en 2020. ↩︎
  6. Albo, C., Galou, I., Souza, J. (2022). Semaine de quatre jours dans la restauration ? Oui c’est possible, la preuve à Agen. France 3 Aquitaine. ↩︎

Auteurs

Benjamin Morvan

Managing Consultant, Workforce & Organization, Capgemini Invent
Benjamin est expert des sujets de transformation des directions des ressources humaines. Après un passage de quelques années dans le secteur publique en tant que Secrétaire Général du CNM, Benjamin accompagne ses clients dans les grands projets de réorganisation et dans l’étude des impacts des nouvelles technologies sur les processus RH.

Sarah Ouadah

Directeur, Workforce & Organization, Capgemini Invent

Alice Robichon

Directrice Secteur Public, Capgemini Invent
Directrice au sein des équipes secteur public de Capgemini Invent, Alice accompagne plus particulièrement les acteurs de l’éducation et de la culture. Juriste de formation, elle a exercé pendant plus de 10 ans au sein de l’Etat dans le pilotage interministériel de grandes réformes.
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