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Le BTP ne peut plus différer son futur digital

Vincent Dubois
4 juin 2020

En faisant face à la crise du Covid-19, les entreprises de l’ingénierie et de la construction ont compris les bénéfices que pourraient apporter le numérique pour le secteur. 

Fort de cette expérience forcée les acteurs du secteur vont pouvoir répondre concrètement et rapidement à deux enjeux cœur métier, la productivité et le développement durable. La gestion d’affaires, la gestion d’actifs et le Building Information Modeling (BIM) figurent au premier rang des domaines d’initiatives qui offrent des gains rapides tout en permettant de préparer l’avenir.

Après le brutal coup d’arrêt du confinement, le redémarrage a placé les entreprises du secteur dans une situation complexe et inédite. Pour y faire face, beaucoup se sont tournées vers le numérique, qui leur a permis d’adapter leurs modes opératoires, de recueillir, suivre et partager aisément l’information indispensable à la sûreté sanitaire, et d’estimer les surcoûts. En les incitant, dans l’urgence à franchir le pas de la digitalisation, cet épisode aura bien souvent été un révélateur, démontrant que, loin d’être insurmontable ou incompatible avec les métiers de la construction, le digital constituait au contraire une réponse à leurs enjeux. Dans cette dynamique, pour les mois et les années à venir, le secteur va devoir relever deux grands défis : la productivité et le développement durable.

Productivité et développement durable, les défis majeurs du BTP

Pour le BTP, la productivité est une question vitale, que la crise va encore accentuer. D’ici 2030, l’activité devrait croître de 85% et déjà les bras manquent. En dépit de progrès importants au niveau des engins ou des matériaux, la productivité du secteur a même tendance à reculer en regard d’autres industries. De nouvelles façons de produire, comme la construction hors site ou l’impression 3D, offrent des perspectives prometteuses, mais elles ne peuvent constituer des réponses à grande échelle que dans le cadre de processus plus industrialisés. Il faut donc anticiper davantage, mieux se coordonner, évaluer ses pratiques pour s’améliorer, répliquer ce qui peut l’être… De façon générale, la difficulté à formaliser et transmettre l’information au sein de l’organisation et entre les divers intervenants est l’un des freins majeurs à la productivité du secteur. C’est aussi ce qui explique la faiblesse de ses marges, que dévore l’accumulation d’inefficiences tout au long de la chaîne.

Enjeu crucial pour l’économie toute entière, le développement durable revêt une importance plus particulière pour le secteur. En France, sur l’ensemble de son cycle de vie, le BTP représente 43% de la consommation d’énergie (1), 69% de la production de déchets(2) et 19% des émissions de CO2(3). C’est donc un champ d’action prioritaire, qui va nécessiter de concevoir, bâtir, utiliser, rénover et démanteler différemment les constructions pour en minimiser les impacts. Pour éviter les gaspillages, imaginer des bâtiments moins énergivores ou développer des matériaux économes en ressources, les acteurs du bâtiment devront nécessairement coopérer et innover davantage.

Coopération, innovation, anticipation, communication, évaluation… autant d’axes que le numérique permet de renforcer, pour répondre aux enjeux de productivité et de développement durable . Contrairement à certains préjugés, le BTP n’a donc pas vocation à se passer du digital, bien au contraire. Dans cette perspective, trois grandes familles de solutions permettent d’ores et déjà des avancées concrètes et rapides : la gestion d’affaires, la gestion d’actifs et le Building Information Modeling (BIM).

La gestion d’affaires met les projets sur de bons rails

Une grande part de la productivité des projets se joue en amont, lors des phases commerciales, d’études budgétaires et de planification. L’objet de la gestion d’affaires est d’intégrer et de coordonner ces étapes en favorisant la collaboration et en s’appuyant au maximum sur des données issues du terrain. Ceci permet de réaliser des chiffrages plus justes, de décloisonner les processus, d’harmoniser les méthodes, et de placer toute l’organisation dans une logique de capitalisation et d’amélioration continue des pratiques.

La gestion d’actifs maximise la productivité du matériel

Pouvant représenter jusqu’à 30% du capital de l’entreprise, le parc matériel doit lui aussi être le plus productif possible. Il faut optimiser les affectations, gérer la maintenance, arbitrer entre possession et location… et ce, en tenant compte des contraintes de sécurité, de logistique, et des spécificités de chaque chantier. Les solutions de gestion d’actifs permettent de résoudre cette équation complexe, qui peut peser lourd dans le résultat financier de chaque projet et l’incidence sur la performance de l’entreprise.

Le BIM renforce la qualité, la sécurité et la rentabilité

Enfin, le BIM permet des méthodes de travail plus collaboratives autour d’une maquette numérique de l’ouvrage que les différents acteurs partagent et enrichissent tout au long de son cycle de vie. En amont, le modèle est un outil d’aide à la vente et de planification des ressources. Sur le chantier, il renforce la sécurité des compagnons, favorise la standardisation et permet d’évaluer l’impact des demandes de changement. Enfin, lors de l’exploitation, il permet d’intervenir à meilleur escient et de réduire ainsi jusqu’à 20% les coûts de maintenance. À terme, en s’appuyant sur le BIM on pourra constituer la colonne vertébrale d’un processus constructif industrialisé de bout en bout.

Trois recommandations pour amorcer le changement

Gestion d’affaires, gestion d’actifs et BIM peuvent être abordés et mis en œuvre séparément. Cela est même recommandé afin d’en tirer rapidement les premiers bénéfices (pilotage financier des opérations, gains immédiats sur les tâches administratives avec la gestion d’affaires, efficience accrue des matériels avec la gestion d’actifs…) et d’enclencher la dynamique de transformation. Pour maximiser ses chances de succès, une autre recommandation est de choisir un périmètre approprié au sein de l’activité car certains métiers ou marchés se prêtent davantage à une approche industrialisée autour d’outils numériques, et ils ont vocation à ouvrir la voie au reste de l’entreprise. Enfin, la troisième recommandation concerne la gestion du changement, à laquelle il faut apporter une grande attention. Dans un secteur de traditions, qui valorise particulièrement la compétence et l’expérience individuelles, le digital constitue une vraie rupture culturelle, et il importe de montrer aux acteurs que l’outil ne les prive pas de leur autonomie et de leur savoir-faire, mais, au contraire, qu’il les aide et valorise leurs compétences.

À terme, la cible, c’est l’intégration de ces différents outils, de manière à disposer d’une vision de bout en bout du chantier et d’obtenir l’adéquation optimale entre le besoin exprimé par le client, le projet architectural, le choix des solutions constructives, l’affectation des ressources et, bien sûr, les contraintes économiques. Alors que le BTP affiche péniblement une marge moyenne d’environ 2%, sa transformation digitale et l’industrialisation de bout en bout pourraient lui permettre d’espérer une rentabilité de 7% à 15%. C’est ce futur qui attend le secteur, ceux qui s’engageront sur ce chemin sans plus attendre prendront une avance décisive.

Sources :
(1) : https://www.ademe.fr/expertises/batiment
(2) :  https://www.ademe.fr/dechets-chiffres-cles-0
(3) : Ministère de la transition écologique et solidaire : https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/sites/default/files/SNBC-2%20synthe%CC%80se%20VF.pdf