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Le rôle de l’école dans la mixité sociale

Capgemini Invent
3 janvier 2023
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En août dernier, le nouveau ministre de l’Education nationale, Pap Ndiaye, a insisté sur la nécessité d’agir pour une meilleure mixité sociale grâce au levier éducatif.

Le code de l’éducation spécifie d’ailleurs que « le service public de l’éducation (…) contribue à l’égalité des chances ». En transmettant des connaissances et en préparant ses élèves à devenir des professionnels compétents et des citoyens responsables, l’Ecole doit permettre de lisser les inégalités sociales, et de générer en retour une société plus juste et équitable. Les départements les plus pauvres de France sont aussi ceux où la capacité théorique d’accueil des enfants dans une structure d’éducation est la plus faible.

C’est précisément sur cet axe que les acteurs publics ont vocation à se positionner en 2023 : l’identification des particularités de chaque territoire, et la mise en place de mesures visant à favoriser l’équité et donc la mixité.

La mixité sociale à l’école se heurte à de multiples défis

Selon le centre national d’étude des systèmes scolaires (Cnesco), en 2015, seulement 10% des élèves fréquentent un établissement qui accueille a minima 63 % de jeunes issus de milieux socialement très défavorisés (parents ouvriers, chômeurs ou inactifs).

Plusieurs freins sont régulièrement évoqués, comme la carte scolaire, instaurée au début des années 1960 dans l’objectif de démocratiser l’accès à l’école en allouant une place à chaque élève sur son secteur d’habitation. Les limites de cet instrument sont toutefois très vite perçues : du côté des milieux favorisés, nombreuses sont les stratégies de contournement imaginées par les parents (choix de résidence près d’un établissement réputé, choix d’options linguistiques spécifiques, ou bien encore scolarisation dans les établissements privés …) ; et dans les quartiers défavorisés, loin de favoriser la mixité sociale, la carte scolaire peut contribuer à renforcer cette ségrégation sociogéographique de départ, par une ghettoïsation des écoles où, seuls les élèves issus de milieux défavorisés sont contraints de se rendre, faute de stratégie alternative accessible.

In fine, comme l’indique le sociologue Choukri Ben-Ayed, « le rapport des familles aux règles de sectorisation est très variable culturellement et socialement », cf. L’école et les ségrégations urbaines et scolaires, 1986-2013 publié en 2013). Dans la capitale, la réforme Affelnet du système d’affectation en lycées, instaurée par le rectorat de Paris en 2021 pour favoriser la mixité sociale, semble toutefois faire ses preuves : diminution de 30% de la ségrégation sociale et de la ségrégation scolaire entre lycées parisiens par rapport à 2020 et hausse de 4 points du taux de satisfaction des familles (alors qu’il avait baissé de 10 points depuis 2016).

La concurrence des établissements privés en termes de politique d’attractivité sur le plan scolaire (options linguistiques, classes de niveaux…) ou périscolaire (offre d’aide aux devoirs après l’école, séjours à l’étranger, offre sportive, équipements numériques…) tend à accroître encore davantage les inégalités sociales avec les établissements publics de quartiers moins favorisés.

Outre ces facteurs d’inégalités entre établissements, la ségrégation se poursuit également au sein même des écoles : de manière active, lorsque les regroupements des élèves dans des classes par option (parcours bilangue, option mathématiques renforcées…) favorisent les stratégies des familles de milieux sociaux privilégiés pour une affectation de leurs enfants dans « les meilleures classes » ; ou de manière subie, lorsque selon le Cnesco, en moyenne, au collège, les élèves issus de familles défavorisées sont deux fois plus nombreux (40 % d’entre eux) que les élèves issus de familles favorisées (22%) à ne pas manger à la cantine, pourtant un lieu phare de la sociabilisation à l’école, du fait de difficultés de financement.

De nombreuses pistes existent pour s’emparer de l’enjeu de la mixité sociale à l’école

Le Cnesco propose notamment une dizaine de recommandations, sur trois axes prioritaires :

  • Mener une action immédiate (dont dans les 100 collèges les plus ségrégués : ajustements de carte scolaire, redéfinition de la politique d’attractivité et instauration d’un bonus financier pour les établissements de la « nouvelle mixité » …)
  • Impliquer l’ensemble des acteurs (formation des personnels de l’éducation à la mixité sociale, mobilisation de l’enseignement privé, accompagnement des parents…)
  • Informer, comprendre et analyser (lancement d’une campagne nationale de sensibilisation du grand public, développement de la recherche sur la ségrégation à l’école, création d’une plateforme d’échange pour partager les initiatives fructueuses de mixité à l’école…)

Au sein d’un article datant d’août 2022, « L’accès aux filières sélectives de l’enseignement supérieur au prisme des lycées d’origine », les améliorations en termes de mixité sociale permises par les programmes d’ouverture sociale de Sciences Po et Dauphine ont été détaillées, et permettent certaines pistes de réflexion.

Ainsi, les programmes d’ouverture sociale de ces deux écoles à des lycées défavorisés (ex. 30% de boursiers parmi l’ensemble des admis en première année à Sciences Po Paris), couplés à la nouvelle possibilité de présenter un dossier à Sciences Po ou Dauphine via la plateforme d’admission post-bac Parcoursup, ont permis d’enrichir l’égalité des chances pour des élèves qui n’auraient pas forcément été incités à présenter des dossiers dans ces écoles.

En effet, l’effet désinhibant de l’apparition de ces écoles dans la même liste de choix que toutes les autres a contribué à convaincre certains élèves issus de territoires ou écoles moins favorisées d’y présenter un dossier, et l’augmentation du nombre d’élèves dans les quotas des programmes d’ouverture sociale en a également convaincu un certain nombre qu’ils étaient légitimes à présenter un dossier.

Dans ce contexte, il semblerait que les actions mises en place par certains établissements fonctionnent et permettent d’aliéner certaines inégalités sociales en 2023 ; il est ainsi possible de considérer que les acteurs publics sont en mesure d’agir pour effectuer ces travaux de favorisation de la mixité sociale. Si cela fonctionne à l’échelle de deux établissements, pourquoi ne pas réfléchir à la mise en place de politique à l’échelle de chaque territoire, afin d’essayer d’obtenir de résultats similaires à l’ensemble des échelons du monde éducatif français ?

Aller plus loin :

Un article de la communauté Education de Capgemini Invent, co-écrit par Mathilde Camaioni et Arthur Manset, consultants ; Alice Robichon, Directrice et Jean-Baptiste Perrin, Vice-Président

Auteurs

Jean-Baptiste Perrin

Expert en Innovation Strategy, Marketing & Communications – Public Sector, Capgemini Invent
Jean-Baptiste dirige les activités à impact sociétal et la RSE au sein de Capgemini Invent. Après une première expérience au Département des Finances de la Mairie de New York, il rejoint Capgemini France en 2007. Aujourd’hui, il développe également Purpose en France et à l’international, une agence Public Benefit Corporation qui développe des mouvements de mobilisation collective pour favoriser la construction d’un monde inclusif, durable et solidaire. Jean-Baptiste enseigne à Sciences Po Paris depuis plus de 15 ans.

Mathilde Camaioni

Consultante – Citizen Services chez Capgemini Invent

Arthur Manset

Consultant chez Capgemini Invent

Alice Robichon

Directrice Secteur Public, Capgemini Invent
Directrice au sein des équipes secteur public de Capgemini Invent, Alice accompagne plus particulièrement les acteurs de l’éducation et de la culture. Juriste de formation, elle a exercé pendant plus de 10 ans au sein de l’Etat dans le pilotage interministériel de grandes réformes.