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Rendre sa supply chain « Intelligente » – Un enjeu business clé pour 2024

Arnaud Baquet, Clément Portier & Aurélien Boutet
1er mars 2024

Comment les nouveaux business models des industriels impactent les différentes dimensions de la Supply Chain pour créer de la valeur.

Alors que les transformations industrielles s’accélèrent sous une pression protéiforme –  Commerciale – Environnementale – Réglementaire – Résilience, les Supply chain doivent s’adapter toujours plus rapidement pour intégrer des niveaux supplémentaires de complexité. Ainsi, loin d’être uniquement une contrainte, la gestion de ces flux, s’appuyant sur une data rendue intelligente, permet de rendre concrètes de nouvelles opportunités

Pour Arnaud Bacquet, Directeur de programmes de transformation Supply Chain et Manufacturing chez Capgemini Invent : « la supply chain est un domaine central de la performance et de la résilience industrielle ». Sa digitalisation, associée à la connectivité, a permis de mettre en place des cycles vertueux d’optimisation tant au niveau des coûts, de la qualité ou encore des délais.

« Avec l’intégration toujours plus forte du développement durable et des réglementations environnementales associées qui viennent remettre en question certaines pratiques, c’est une nouvelle complexité qu’il convient d’appréhender ».

Au-delà de la prise de conscience écologique, des tendances de fond apparaissent chez les industriels pour revoir la répartition de la valeur entre les grands donneurs d’ordre et un écosystème élargi qu’il convient plus que jamais d’orchestrer au mieux.

Trois tendances de fond ‘business’ qui changent le modèle industriel

De la santé à l’aéronautique, de l’automobile aux produits de consommations, tous les secteurs industriels modifient leur positionnement pour intégrer ou renforcer trois évolutions majeures de leurs business models qui visent à capter une part grandissante de la valeur.

1 – Le passage du produit à la solution intégrée

Les industriels, y compris BtoB, ne se concentrent plus uniquement sur le produit manufacturé. Ils sont de plus en plus nombreux à proposer des solutions intégrées comprenant le hardware, le software, la connectivité et les services associés. L’objectif est de remplacer une partie des flux d’équipement par des prestations de service garantissant un niveau de disponibilité voire d’efficience en échange de revenus récurrents. Pour Arnaud Bacquet :

« En se réservant un accès le plus complet possible au client, l’industriel renforce également son positionnement d’orchestrateur de sa chaîne valeur, parfois en désintermédiant certains distributeurs et le plus souvent en devenant la porte d’entrée des prestations annexes à son produit ».

Il reste alors à décider de la part internalisée, en fonction de sa cohérence par rapport aux savoir-faire industriels, de la criticité technique des prestations, du pays, du niveau de marge générée, etc. En maîtrisant des étapes complémentaires au produit, l’industriel va pouvoir optimiser la gestion des retours, des flux de consommables et bénéficier d’informations d’usage plus précises qui permettront d’améliorer l’efficacité opérationnelle de son produit.

2 – Intégrer de nouveaux métiers pour mieux capter la valeur

Au-delà de cette approche servicielle, c’est bien un renversement de certains modèles de distribution qui se joue. « Une partie du monde de l’automobile a choisi de transformer ses réseaux de concessionnaires en agents commerciaux en conservant à son niveau la maitrise d’un pricing devenu multi-canal et, plus généralement, la maîtrise du contact et des données client, le réseau recevant en échange des leads pré-qualifiés », nous explique Clément Portier, Group Client Partner Stellantis chez Capgemini :

« La gestion du stock de produits finis et de pièces détachées est également pilotée en central ainsi que la priorisation de livraisons multipoints pour en garantir l’optimisation. »

La concentration ou le suivi de la donnée tout au long du parcours client permet de renforcer la valeur de cette dernière avec une utilisation accrue de la Business Intelligence (informatique décisionnelle), des analyses affinées et une réactivité renforcée jusqu’à la production (priorisation industrielle de certains modèles, soutien plus ciblé aux ventes, etc.).

Cette transformation s’étend à l’après-vente. La connectivité des véhicules (ou des avions) permet d’établir des pré-diagnostics plus poussés, de résoudre des incidents à distance via des update software et in fine de mieux prévoir et gérer les rendez-vous de maintenance préventive et corrective.  Le lien entre le constructeur et le client final en sort consolidé. La gestion de la fin de vie, de la réparation, du reconditionnement et de la recyclabilité devient aussi un enjeu clé dans tous les secteurs.

Dans l’aéronautique, la plateforme Lifecycle optimization for Aerospace, conçue par Capgemini et AWS, réunit plusieurs acteurs majeurs du secteur pour augmenter notamment la part de pièces reconditionnées et garanties directement par le fabricant. Au-delà du bénéfice financier direct, le reconditionnement permet de renforcer l’agilité du process industriel en évitant de cannibaliser des flux séries pour des réparations et, pour les compagnies aériennes, d’accélérer la disponibilité des pièces pour permettre des réparations plus rapides et limiter l’immobilisation des avions au sol.

Le secteur des biens informatiques et d’électroménager a vu émerger un écosystème (réparateurs, marketplace, broker, etc) conduisant à une compétition acharnée entre fabricants et distributeurs sur le marché de la seconde vie.

Ces modifications majeures de l’aval transforment en retour toute l’organisation de la Supply chain.

3 – Répondre aux nouveaux enjeux du développement durable

La prise en compte de la circularité par les industriels, de l’éco-conception à l’amélioration de la durée de vie et la gestion de la fin de vie est une des concrétisations de la prégnance des enjeux environnementaux, sous la forme de nouveaux business autour de la seconde main. Mais le développement durable vient aussi impacter le monde industriel dans sa capacité à maîtriser sa chaine logistique au sens large : reportings ESG croisés (critères environnementaux, sociaux et de gouvernance), émissions de gaz à effets de serre sur le Scope 3 (lié notamment à l’emballage et au transport), devoir de vigilance sur les pratiques éthiques, sourcing de matériaux plus durables, etc.

Le seul sujet carbone et l’ambition européenne de réduire les émissions de GES de 55% d’ici à 2030 par rapport à 1990 ne peut se régler par des ajustements à la marge. Pour Aurélien Boutet, Client Director & Market Segment Head – Automotive & Mobility chez Capgemini :

« C’est un nouveau prisme d’analyse qui impose de revoir et valider l’ensemble de son process industriel et logistique ». Le développement durable doit être une opportunité de repenser sa supply chain et sa manière de l’opérer, un levier permettant d’accélérer les transformations engagées, un moyen de promouvoir des nouvelles opportunités de ventes et d’achats. »

Quels impacts sur la supply chain ?

Ces tendances ont des conséquences directes sur la Supply chain en renforçant considérablement sa complexité.

Vers une décentralisation renforcée des flux logistiques

Pour Clément Portier, la Supply chain change de modèle :

« D’un modèle relativement simple de flux mondialisés convergeant vers des points limités, la supply chain s’oriente aujourd’hui vers un fonctionnement beaucoup plus hétérogène, avec des flux décentralisés toujours plus nombreux, couvrant aussi bien les produits finis que les pièces détachées et fonctionnant dans les deux sens vers un réseau multicouche très éclaté »

Cela concerne à la fois l’amont (multiplication des fournisseurs pour limiter les risques) et surtout l’aval (livraisons multipoints jusqu’au dernier kilomètre puis reverse logistic couvrant la collecte, la centralisation, le traitement et la réexpédition de produits réparés, de pièces détachées reconditionnées ou de matière première à upcycler).

Cette décentralisation participe au mouvement vers une hyperpersonnalisation du service rendu et la fidélisation client. Elle représente cependant un chantier majeur de transformation, les industriels devant mettre en place une Supply chain beaucoup plus proche de celle d’un distributeur / retailer. Cet éclatement de la Supply chain représente aussi un enjeu majeur en matière d’optimisation environnementale et de garantie de conformité, la multiplication des acteurs pouvant faciliter les intrusions de pièces non conformes par exemple.

Vers une data plus pertinente et intelligente

Avec ce modèle « many to many », la complexité de la Supply chain se manifeste également dans son pilotage numérique à cause de la multiplication et l’interconnexion des acteurs, des références, l’optimisation attendue des itinéraires et de la consommation de carburant, etc. Autant de caractéristiques qui obligent à penser l’accès à la donnée, via des chantiers ciblés de continuité numérique, non seulement à l’intérieur de l’organisation et davantage avec ses partenaires et une large part des acteurs amont et aval.

La mise en place de parcours complets pour la gestion de la donnée client, la création de marketplaces dédiées adressant aussi bien ses distributeurs, ses partenaires que le client final, couvrant les produits finis et l’ensemble des pièces neuves comme reconditionnées, l’interconnexion de l’ensemble des acteurs de la logistique aval jusqu’au dernier kilomètre, l’intégration de l’IA pour optimiser les flux constituent autant de chantiers qu’il faut anticiper, planifier et accompagner.

Avec en leur cœur, une vision et une culture data qui permettront à chaque entreprise de mieux comprendre les attentes de ses clients et les signaux faibles de son marché, de mieux anticiper les besoins de production et de piloter plus efficacement sa Supply chain de bout en bout.

Auteurs

Arnaud Bacquet

Directeur de programmes de transformation Supply Chain et Manufacturing, Capgemini Invent 

Aurélien Boutet

Client Director & Market Segment Head – Automotive & Mobility

Clément Portier

Group Client Partner Stellantis
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