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Les politiques publiques en faveur de l’économie circulaire sont-elles assez ambitieuses ?

Jean-Guaillaume Messmer, Jean-Baptiste Perrin & Nicolas Vogtenberger
28 avril 2023
capgemini-invent

Depuis le 1er janvier 2023 la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC) impose aux chaines de restauration rapide d’utiliser de la vaisselle réutilisable.

Les médias se sont assez largement faits le relais de cette évolution visible de la loi et de la façon dont les acteurs concernés s’en sont servis comme d’un levier de communication. Cet exemple souligne combien le sujet de l’économie circulaire est présent à la fois dans le débat public et semble se transmettre aux acteurs économiques. Cependant, se pose la question de savoir comment se fait cette transmission et si les mesures misent en œuvre sont suffisamment ambitieuses pour répondre aux enjeux environnementaux associés.

En effet, la transformation d’une économie linéaire à une économie circulaire qui réduit la pression sur les ressources naturelles est une nécessité vitale au vu du rythme de dépassement des limites planétaires (7 sur 8 selon un article publié dans Nature en mai 2023). Cependant, cela demande également un changement de paradigme sur la façon dont les externalités sont mesurées avec le besoin d’intégrer une vision holistique dans les modèles produits et la généralisation des analyses de cycle de vie (ACV) pour intégrer tous les impacts des chaines de valeur.

Les politiques publiques françaises se concentrent en priorité sur la réduction des déchets, notamment du plastique, avec toutefois des avancées sur l’écodesign et la réparation

Il existe un continuum de plusieurs textes français et européens qui font de l’économie circulaire une priorité. L’un des plus récents est le Pacte vert pour l’Europe présenté en 2019 et dont il s’agit de l’un des 12 axes. En France, la première mention du concept d’économie circulaire est présente dans la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte du 18 août 2015. Cette loi fait de la transition vers une économie circulaire un objectif national et l’un des piliers du développement durable. En application de ce texte, une feuille de route pour l’économie circulaire a été publiée en avril 2018 avec des objectifs qui se veulent ambitieux.

Plusieurs axes de travail sont abordés dans ce document :

  • La réduction de la consommation de ressources (réduire de 30 % la consommation de ressources par rapport au PIB d’ici à 2030 par rapport à 2010) avec notamment un accent mis sur le recyclage et la gestion des déchets (réduire de 50 % les quantités de déchets non dangereux mis en décharge en 2025 par rapport à 2010 et tendre vers 100 % de plastiques recyclés en 2025),
  • La réduction des émissions de gaz à effet de serre (économiser l’émission de 8 millions de tonnes de CO2 supplémentaires en moins chaque année grâce au recyclage du plastique, à comparer aux un peu plus de 600 millions de tCO2eq en 2021 émises en France au total),
  • Le renforcement des filières professionnelles associées à l’économie circulaire (créer 500 000 emplois supplémentaires, y compris dans des nouveaux métiers, à comparer aux 3,6 millions d’emplois industriels en France en 2018).

Par conséquent, malgré des avancées à l’échelle européenne sur l’écodesign et le droit à la réparation, on note que le poids du corps est bien plus porté sur la réduction des déchets, notamment du plastique, que sur une vision holistique et transformative de l’économie qui permettrait de décupler les résultats en termes de circularité.

Pourtant, certains secteurs sont bien plus intensifs en production de déchets et pourraient faire l’objet d’efforts spécifiques, notamment celui de la construction qui représente approximativement 2/3 du total de la production de déchets en France (INSEE, 2020) pour 23% des émissions de gaz à effet de serre (MTE, 2022). À l’inverse, le recyclage de produits courants n’a pratiquement aucun effet sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre. La logistique nécessaire au transport et à la fabrication de produits recyclés peut même parfois s’avérer plus nocive que de brûler ces plastiques localement. Concernant le plastique, au-delà de la réduction des émissions de GES, c’est surtout sa réduction (en favorisant le vrac et le réemploi) et sa substitution qu’il faut penser en allant vers des matériaux qui soient écosourcés et renouvelables pour limiter la consommation de ressources fossiles.

Par conséquent, les politiques publiques actuelles et leurs appropriations par les agents économiques s’inscrivent dans une logique incrémentale d’évolution progressive des modèles d’affaire avec une remise en question a minima du statu quo.

Mettre en place de nouvelles politiques publiques pour faire passer l’économie circulaire à l’échelle

Pour faire cette transformation vers plus de circularité et faire passer cette transformation à l’échelle, 4 axes de travail pourraient être explorés :

  1. Développer une vision politique de long terme associant vision de société et vision industrielle. Cela permettrait d’aller au-delà de la législation européenne sur les matières premières critiques en hiérarchisant les besoins et en développant plus de résilience à long terme avec une vision fine par matériaux et industries. Cela soulève aussi l’enjeu de l’harmonisation des normes et réglementations à l’échelle européenne, notamment grâce aux organismes de normalisation (AFNOR, DIN, ISO).
  2. Renforcer la taxation sur le principe du pollueur payeur, voire du producteur payeur tout en visant à garantir une compétition équitable entre acteurs. Une approche intéressante pourrait être de dresser un inventaire des ressources stratégiques et en cours d’épuisement pour leur appliquer une taxe qui punirait une surconsommation, mais récompenserait aussi une modération particulière. Une telle taxe pourrait également prendre en compte un impact positif sur l’emploi et l’insertion, notamment pour prendre en compte le coût parfois plus élevé de certaines opérations de rénovation ou de réparation.
  3. S’assurer du recyclage effectif de ce qui est recyclé et favoriser le réemploi plutôt que le recyclage, uniquement quand c’est efficient. En effet, un certain nombre d’études montrent par exemple que la consigne de bouteilles en verre n’a un impact significatif sur les externalités que si ces bouteilles sont nettoyées puis réutilisées et pas si elles sont refondues. Dans certains cas ce réemploi n’est pas possible et il faudrait alors développer des structures économiques à l’échelle locale, mettre en place des filières de recyclage adaptées et s’assurer que ce recyclage est effectif.
  4. Accompagner les acteurs publics dans la revue en profondeur de leurs modèles opérationnels. En effet, le passage à une économie de la fonctionnalité par ex. emporte des conséquences fortes en termes de modes de fonctionnement et de coûts. S’il y a nécessairement un coût de transformation, il y a des opportunités économiques pour les administrations : réduction des coûts (par ex. Xerox en passant au leasing pour ses copieurs), fonctionnement en cogénération (par ex. pour les exploitants de datacenter comme la mairie de Paris, la vente de chaleur en cogénération pour des piscines), etc.  Les acheteurs publics peuvent également être à la manœuvre pour impulser cette transformation.

La transition vers une économie circulaire véritable peut être une opportunité pour l’industrie française

La transition vers une économie circulaire doit s’accompagner de politiques volontaristes. En effet, ces politiques sont un tremplin pour la réindustrialisation du pays et la transition vers une économie moins linéaire est un beau relai de croissance pour l’industrie française. De plus, pour certains secteurs d’activité, la transition sera de plus en plus nécessaire, notamment en particulier ceux dont la consommation de matériaux stratégiques (cobalt, lithium, cuivre, néodyme, etc.) est importante. Enfin, cette transition doit s’accompagner dans un investissement dans les filières professionnelles par les entreprises, tel que prévu dans la feuille de route économie circulaire.

La focalisation sur l’épuisement de certaines ressources doit aussi permettre de réinterroger l’utilisation des produits, leur maintenance, leur transport ou leur utilité pour éviter l’effet rebond qui pourrait apparaitre par ricochet. Cela s’accompagne d’un effort marqué porté sur la communication, l’influence et la pédagogie qui sont au cœur de l’action publique et auront aussi un rôle à jouer pour créer des imaginaires durables, compatibles avec cette approche d’économie circulaire et les rendre désirables pour inciter à basculer.

Auteurs

Jean-Guillaume Messmer

Manager Secteur public, Capgemini Invent
Jean-Guillaume a développé une expertise sur la valorisation des données, l’IA et l’IA générative qu’il met au service des acteurs ministériels. Diplômé de CentraleSupélec et de Sciences Po, il enseigne les enjeux du secteur public à CentraleSupélec.

Jean-Baptiste Perrin

Expert en Innovation Strategy, Marketing & Communications – Public Sector, Capgemini Invent
Jean-Baptiste dirige les activités à impact sociétal et la RSE au sein de Capgemini Invent. Après une première expérience au Département des Finances de la Mairie de New York, il rejoint Capgemini France en 2007. Aujourd’hui, il développe également Purpose en France et à l’international, une agence Public Benefit Corporation qui développe des mouvements de mobilisation collective pour favoriser la construction d’un monde inclusif, durable et solidaire. Jean-Baptiste enseigne à Sciences Po Paris depuis plus de 15 ans.

Nicolas Vogtenberger

Manager, Capgemini Invent
Nicolas est spécialisé sur les sujets de développement durable, en particulier sur l’impact des questions environnementales et sociales sur la stratégie des organisations. Ingénieur et diplômé en politiques publiques il a, avant de rejoindre Capgemini, travaillé dans les services du Premier ministre et pour la direction générale d’une entreprise du CAC40. Il enseigne à Sciences Po et à l’INSP.
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