Passer au contenu

Les mots du jour d’après : Sobriété, frugalité

Florent Andrillon
17 avril 2020
capgemini-invent

Sobriété et frugalité, deux mots largement utilisés dans les débats entre déclinistes et adeptes de la croissance durable qui prendront de l’ampleur avec l’évolution de nos comportements et les démarches volontaristes de relance « verte ».

2019, l’année du pic des émissions de gaz à effets de serre ?

#Sobriété et #frugalité, deux mots largement utilisés dans les débats entre déclinistes et adeptes de la croissance durable qui prendront de l’ampleur avec l’évolution de nos comportements et les démarches volontaristes de relance « verte ». Ces termes s’appliquent aujourd’hui très bien à la crise sanitaire mondiale sans précédents que nous traversons : sobriété dans nos déplacements pour limiter la transmission du virus, frugalité pour économiser nos ressources jusqu’à la fin du confinement.

Cette pandémie démontre de façon dramatique la forte dépendance des enjeux d’environnement, de santé, de social et d’économie. La disparition des écosystèmes est ainsi évoquée[1] comme l’une des causes du développement des coronavirus. Et en nous forçant à stopper l’essentiel de nos activités industrielles et de nos déplacements, cette pandémie pourrait provoquer à court terme un recul des émissions mondiales de CO₂ de l’ordre de 5 Gt, soit 10 fois la baisse observée en 2009.

La Chine à l’origine de près du tiers des émissions mondiales de CO₂ a connu une diminution de ses émissions d’au moins un quart entre le 3 février et le 1er mars comparé à 2019, soit l’équivalent de la moitié des émissions annuelles britanniques. A ce stade il est difficile de prédire si les émissions augmenteront à nouveau comme après la crise financière de 2008 ou si leur progression demeurera ralentie comme l’économie mondiale, dont les prévisionnistes n’indiquent pas un redémarrage avant au mieux le quatrième trimestre 2020.

Concilier relance et « pacte vert » : mission impossible ?

Les risques sanitaires et climatiques sont non seulement liés mais similaires à bien des aspects, notamment par leurs aspects systémiques et leurs conséquences physiques directement mesurables. Il faudra donc tirer les leçons de la pandémie et profiter de la décennie qui s’ouvre pour les mettre en application et lutter contre le changement climatique. Mais en aurons-nous les moyens ?

Alors que la COP26 a été reportée à 2021, nous pourrions être tentés de repousser encore le tas de sable pour nous focaliser sur la sortie de crise. Certaines voix appellent déjà par ailleurs à remettre à plus tard d’importants investissements liés à la transition énergétique et écologique. Ainsi le développement des énergies renouvelables sera sans doute fortement impacté par deux défis majeurs de la crise du COVID-19 : les perturbations de la chaîne d’approvisionnement qui peuvent entraîner des retards dans l’achèvement des projets et la baisse probable des investissements en raison de la pression sur les budgets publics et privés combinée à l’incertitude sur la demande future d’électricité.

La question est donc la suivante : la pandémie sera-t-elle un accélérateur des transformations structurelles de notre modèle de production et de nos modes de vie pour éviter le réchauffement climatique ? Rien n’est joué : avec un prix du pétrole réduit de 66% depuis début mars, la tentation d’une reprise adossée aux énergies fossiles constituerait une dangereuse solution de facilité qui reviendrait à maintenir le statu quo.

À court terme, les plans de relance que préparent les institutions internationales et les gouvernements seront focalisés sur la santé, l’emploi et le soutien aux entreprises. L’enjeu est donc d’aller plus loin : Favoriser les investissements dans la mobilité sobre, les énergies renouvelables et le stockage, dans le bâtiment vert et la rénovation énergétique, les infrastructures vertes, l’efficient manufacturing ou encore l’économie circulaire.

Quelques pistes de réflexion pour orienter le débat d’une relance verte

  • Logistique & Commerce en ligne : les secteurs de la distribution en ligne et de la livraison intra-urbaine devraient être tenus d’accélérer le passage de leurs flottes vers des véhicules électriques ou hybrides, garantissant ainsi une meilleure qualité de l’air (certaines études récentes semblant démontrer que le COVID19 s’est propagé plus rapidement là où la pollution de l’air est la plus élevée plus grave)[2] et un soutien à l’industrie automobile. Dans le même ordre d’idées, cela pourrait être le moment de lancer ou d’accélérer le remplacement des bus et des véhicules publics par des véhicules électriques et hybrides.
  • Energies bas carbone : les coûts des énergies renouvelables sont déjà bas et devraient le rester. En revanche leur intégration dans le réseau reste un challenge économique, technique et règlementaire à de nombreux endroits. Le stockage, la recharge intelligente de véhicules électriques, et les outils de gestion intelligente d’ajustement à la demande notamment devraient bénéficier de capitaux pour être mis à l’échelle et déployés massivement. De même, les technologies émergentes comme le graphène pour le stockage, l’hydrogène d’origine renouvelable ou la capture et la séquestration de carbone nécessitent encore des investissements majeurs pour en réduire les coûts et les développer.
  • Territoires durables: les villes et territoires pourraient systématiser la mise en place de solutions digitales permettant des économies d’énergie (éclairage intelligent, bâtiments publics « intelligents », optimisation des ramassages de déchets, …) dans leurs plans de développement.
  • Efficacité énergétique: c’est un autre domaine clé qu’il faudrait favoriser. Depuis 2014, les économies d’énergie n’ont pas été suffisantes en Europe pour compenser l’impact de la croissance économique, des normes de confort de chauffage et de climatisation plus élevées et des changements de style de vie (sur ce point vous pouvez consulter le chapitre Climat de notre dernier Observatoire mondial des marchés de l’énergie). Et compte tenu de l’effondrement de la demande, les prix du pétrole, du gaz, du charbon et du carbone devraient rester bas pendant une longue période, réduisant ainsi sa justification économique. Mais il faudra au contraire accélérer sinon, lorsque la demande rebondira, nous constaterons non seulement que les émissions s’envolent à nouveau, mais que les prix de l’énergie augmentent aussi, contribuant ainsi à ralentir  la reprise économique.

Nous avons esquissé récemment les contours du futur paysage énergétique mondial (https://www.capgemini.com/fr-fr/2020/03/quel-paysage-energetique-en-2040-2050/). L’ampleur des progrès mondiaux vers un avenir décarboné dépendra de l’intensité des facteurs clés combinées que sont la demande d’énergie, l’évolution du mix énergétique, les conditions réglementaires, le développement des technologies fondamentales de l’énergie et du digital, ainsi que d’autres facteurs liés au changement profond des comportement des consommateurs.

Transformation durable de nos comportements et nécessaire réinvention de nos modèles

Outre les stimulus économiques, il y a fort à parier que nos comportements seront profondément modifiés par cette pandémie, réduisant ainsi les émissions de gaz à effet de serre associées.

  • Solutions de collaboration ou d’enseignement à distance: Le travail à domicile devient – pour ceux dont la profession le permet – la norme. A la fin du confinement, certaines entreprises, par principe de précaution, souhaiteront sans doute mettre en place pendant au moins une période tampon, le travail à distance pour maintenir les gestes barrières Certains salariés pourraient l’exiger, au moins partiellement, une fois le confinement fini ; et leurs employeurs seront sans doute plus à l’aise pour le permettre (à ce sujet vous pouvez consulter notre dernière étude sur la façon de diriger, de motiver et de collaborer dans un environnement virtuel   https://www.capgemini.com/fr-fr/2020/04/faciliter-collaboration-virtuel/ ).
  • Voyages & déplacements: les voyages d’affaires seront réduits dans les mois à venir et probablement au-delà. On acceptera sans doute beaucoup moins de prendre un avion pour un déplacement d’une journée et des réunions qui auraient pu se faire à distance. On voit d’ailleurs émerger de nouveaux formats de conférences entièrement en ligne, en lieu et place des évènements qui devaient se tenir physiquement ces dernières semaines. Les fournisseurs d’équipements de vidéo-conférence et même de visioconférence holographique ont de beaux jours devant eux. Il faudra aller plus loin, et envisager des solutions compatibles avec les attentes environnementale (de type Green IT) pour que le remède ne soit pas pire que le mal en matière d’émissions de CO₂.
  • Mobilité : l’essor des solutions de mobilité « sobre », mises en lumière dans les grands centres urbains en France lors des grèves de transports publics, se renforceront sans doute. Les solutions multimodales, telles que le compte personnel de mobilité (solution en cours de co-développement par La Fabrique des mobilités et Capgemini : https://wiki.lafabriquedesmobilites.fr/wiki/Compte_Mobilit%C3%A9) et l’extension du réseau existant de pistes cyclables seront vraisemblablement plus populaires auprès des populations souhaitant éviter la promiscuité des transports en communs, lieu favorisant la diffusion virale.
  • Supply chain : Dans l’industrie, les mouvements de relocalisation, déjà à l’étude ces dernières années vont sans doute s’accélérer, même s’ils ne seront pas immédiats. Les déplacements internationaux de marchandises seraient ainsi réduits. Afin de raccourcir les chaînes d’approvisionnement, et ainsi réduire les émissions importées – scope 3, il est probable que des solutions telles que les impressions 3D connaissent un nouvel essor. De même, le débat sur la nécessité de relocaliser la chaine de valeur des batteries en Europe sera sans doute plus que jamais d’actualité tant la crise actuelle souligne les problématiques de sécurité d’approvisionnement dans le domaine des véhicules électriques (nous avions évoqué ce sujet dans un récent point de vue sur la stratégie batterie européenne).
  • Agro-alimentaire & Déchets : la sécurité alimentaire sera plus que jamais une priorité des états et des citoyens. On peut donc espérer dans les secteurs de la distribution et de l’agro-alimentaire une accélération des modèles circulaires réduisant le gaspillage et favorisant la revalorisation des déchets (waste to energy) ; ainsi que de la consommation locale. Dans notre dernière étude consacrée à l’économie circulaire nous présentons une approche pour aider les organisations à comprendre et évaluer leur impact actuel et pour les aider à identifier les opportunités liées à ce modèle (https://www.capgemini.com/wp-content/uploads/2019/12/Circular-Economy_POV-2.pdf).

Tous les secteurs sont donc impactés par cette remise à plat et ces changements. Plus que jamais la question est de savoir si nous, individus, entreprises, investisseurs et pouvoirs publics, saisirons l’occasion pour transformer durablement nos modèles vers plus de sobriété énergétique et de frugalité dans l’usage des ressources naturelles. Il est d’ores et déjà intéressant d’observer que les fonds ESG résistent globalement mieux à la chute des cours de bourse[3].

La pression des investisseurs pour mieux prendre en compte les enjeux sociétaux et environnementaux dans les stratégies des entreprises ne ralentira probablement pas. Les comités de direction devront vont certainement devoir revisiter leur business models et leurs stratégies pour les aligner avec les 17 objectifs de développements durables de l’ONU. Dans Sustainable Business Revolution 2030 (https://www.capgemini.com/resources/the-sustainable-business-revolution-2030/), nous soulignions que la seule façon d’avoir un impact substantiel sur le changement climatique est de coopérer dans des écosystèmes de grande envergure avec un seul objectif commun d’aller vers du net zero. Cela exigera une réinvention radicale des modèles commerciaux, une collaboration ouverte et des choix technologiques axés sur la #sobrieté.

[1] https://www.courrierinternational.com/article/coronavirus-la-destruction-des-ecosystemes-par-lhumain-favorise-lemergence-depidemies

[2] https://www.theguardian.com/environment/2020/apr/07/air-pollution-linked-to-far-higher-covid-19-death-rates-study-finds

[3] https://www.ft.com/content/46bb05a9-23b2-4958-888a-c3e614d75199