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Les mots du jour d’après : Reset

Capgemini Invent
10 avril 2020
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A travers la crise actuelle, le monde ressemble plus que jamais à un ensemble d’ecosystèmes interconnectés, mais où l’entropie se révèle maximale.

Si « Demain est moins à découvrir qu’à inventer » pour reprendre Gaston Berger, que souhaitons nous faire pour rendre ces systèmes vertueux et plus maîtrisables ?

Quelques jours avant le début de confinement à Londres, dans une voiture fantôme de la Central Line, j’examinais la carte du métro londonien. Une représentation plate, en deux dimensions, d’un système d’une complexité difficile à appréhender.  A l’image de cette carte, notre appréhension du monde est celle d’un monde plat cachant un ensemble de systèmes interdépendants. Face à cette complexité, le meilleur et le pire se répandent rapidement, l’entropie est à son maximum, entrainant un ensemble d’effets que nous n’avons pas anticipés et que nous ne savons pas maîtriser.

La crise actuelle illustre nos limites face à l’incertitude, face à une situation où nous manquons de données et d’hypothèses pour quantifier des risques et détourer des scénarii. Les schémas de pensées et les outils d’aujourd’hui ne permettent plus de comprendre le monde d’aujourd’hui et celui de demain, à l’image de l’agonie de Stefan Zweig dans “Le monde d’hier”. Chaque jour les décisions prises créent des situations que nous ne savons pas gérer. Nous sommes confinés dans une réalité inédite, sans issue évidente fruit d’une somme d’expérimentations « à l’échelle », inenvisageables il y a quelques semaines :

  • Politique car la réponse au chaos et à la peur a été, dans un pays profondément démocratique, le recourt à une mesure d’urgence qui a ébranlé cette même démocratie.
  • Economique car les banques centrales et les états se sont engagés à faire ce qui sera nécessaire pour sauver des entreprises et des emplois, rendant caduque la notion même d’argent ou de logique de marché
  • Scientifique car des traitements et des vaccins sont testés dans des temps records sans respecter parfois les principes de l‘evidence-based medicine
  • Sociale via ce confinement dont nous ne savons pas sortir, où s’agit désormais d’être proche sans se toucher, solidaire sans se rencontrer…humain de manière digitalisée
  • Ethique enfin, car l’Europe de la RGPD appelle à l’utilisation des données de télécommunications et du contact-tracing pour se préparer au jour d’après, à la sortie du confinement.

Cette remise en cause de nos fondamentaux fait naître un désir d’autre chose, un #Reset qui fleurit un peu partout.

Quel système, quels systèmes (sociaux, politiques, économiques, entrepreneuriaux…) vont-nous régir ou allons-nous régir dès lors ? Comment encadrer le panopticon que nous risquons de mettre en place ? Quelle humanité allons-nous trouver à l’issue de cette crise ?

Ce temps ralenti nous donne l’opportunité de nous questionner sur ce #Reset en vue de ce jour d’après, et sur les conditions à réunir pour créer des systèmes plus vertueux, responsables…

A quelle échelle réfléchir : Un système ou des systèmes ?

Crozier et Friedberg (l’Acteur et le Système), et Giddens et sa systémie des organisations (The constitution of society) considéreraient l’organisation comme un système dans lesquels les acteurs jouent un rôle fondamental (d’agir, de ne pas agir) … Aujourd’hui leur définition de système semble étroite. On parle d’interdépendance entre systèmes : la systémie.  L’organisation ne se pense plus comme un ensemble fini, mais comme une partie dans un tout, lui-même interconnecté avec d’autres systèmes. Le dirigeant est un des chefs d’orchestre de ce système, pour le compte de son organisation…Mais il y a donc plusieurs chefs d’orchestre…qui doivent s’orchestrer. Le monde n’est plus plat : il est bien la somme d’interconnections, d’écosystèmes dépendants les uns des autres.

Comment alors bâtir une stratégie systémique ?  Le sens comme fondement

Face à des changements en cascade, la quête de sens, au-delà de la stratégie, devient centrale. Une entreprise se doit d’être utile, et le résultat de son utilité est le profit.  Inversez les 2 concepts d’utilité et de profit et vous perdez…le sens.

Cette vision post-Friedmanienne de l’entreprise avec une mission “aligné avec les besoins du monde” selon Satya Nadella, le directeur général de Microsoft, inscrit son action au sein d’un écosystème donné (un secteur, une collectivité, la société…).

Cette projection est nécessaire, mais insuffisante :  le prochain pas doit être franchi rapidement : il s’agit d’adopter une démarche d’open stratégie, elle-même couplée à une approche d’open prospective. Car un système ne se pense pas en huis-clos…c’est la notion même de système.

Pour être collectivement efficace, il faut voir ensemble, plus loin : l’open prospective et l’open stratégie

Prenons l’exemple de nos supply-chains, mises à rude épreuve par la guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis et ravagées par la crise actuelle. Les stratégies traditionnelles ont échoué. Elles doivent être repensées avec les fournisseurs, les sous-traitants, les clients, les actionnaires… C’est là que l’open stratégie prend tout son sens : penser sa stratégie de manière ouverte, avec ses parties prenantes.  Leurs horizons doivent également changer d’une projection de 3 à 5 ou une vision court-terme, à une stratégie projetée dans le temps long, en se dotant d’une capacité prospective.

« Demain est moins à découvrir qu’à inventer » (Gaston Berger, père fondateur de la discipline), et c’est rassurant : nous avons la main ! En s’armant de regards croisés (cross disciplines, cross sectoriels…), il est possible de bâtir des scénarii de futurs possibles sur la base de modèles et d’hypothèses, et d’y penser et ancrer une stratégie.  Grâce à la création de ce système ouvert de réflexion et d’action, vous créez à la bonne échelle, collectivement, un système durable et résilient.

Résilient à condition de gérer les vulnérabilités

Dans le monde d’hier d’une régularité rassurante, la résilience se traduit par la bonne maitrise du risque. Cette mesure de l’incertitude comme probabilité d’un évènement indésirable repose généralement sur des hypothèses d’indépendance que le monde de demain ne satisfera plus. Cette incapacité de quantifier le risque fera émerger des vulnérabilités nouvelles.

On le voit déjà aujourd’hui : plus que la vulnérabilité sociale, aujourd’hui en ce temps de crise, c’est la vulnérabilité digitale qui l’emporte. Imaginez vivre ce moment sans pouvoir parler à vos proches, consulter un médecin en ligne, faire ses courses via le net, travailler à distance…

La politique de confinement fait émerger d’autres vulnérabilités, celles de nos systèmes de santé, de nos supply-chains, de nos entreprises, de nos systèmes de protection sociales….

Là encore, le seul moyen de gérer ces vulnérabilités est de les intégrer en amont dans la démarche stratégique, en les découlant de scenarii prospectifs retenus.

Un système durable doit donc intégrer cette approche plus que jamais.

Un système durable donc résilient et responsable 

La durabilité est la somme de la résilience et de la responsabilité (notamment sur les axes environnementaux, sociaux et sociétaux, et éthique et gouvernance).

Dans ce nouveau paradigme sociétal et de mode de consommation vos Clients, vos Collaborateurs, vos parties-prenantes ne pardonnent plus la non-conscience et la non-responsabilité. Elles doivent être au cœur de votre stratégie, être concrètement incarnés par votre marque, votre communication, et surtout vos choix et vos actions.

Face aux imprévus, les systèmes à réinventer auront du sens, seront durables, responsables, pensés collectivement. Ils incarneront un futur souhaitable, sans céder aux pressions de l’immédiat. Ces écosystèmes ainsi articulés auront une entropie minime, ramenant de la cohérence. C’est dans le temps long et l’ouverture que nous devons les construire.

C’est là que les dirigeants doivent de nouveau s’inscrire.

Alors… Reset?

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