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La tour de contrôle pour renforcer la résilience de la supply chain

Aurélien Boutet, Frédéric Berne & Nicolas Clinckx
5 avril 2024

Comment les nouveaux usages de la donnée permettent d’assurer collectivement la gestion des risques autour de la supply chain ?

La Supply Chain a dû affronter ces dernières années une série de crises transformatrices – sanitaire et géopolitique – qui ont souligné les vulnérabilités et la multi-dépendance entre les acteurs au sein d’un système mondialisé. Face à ces défis, de nouvelles stratégies ont été mises en place pour renforcer la collaboration avec les partenaires amont et aval ou même parfois pour les diversifier.  Ces stratégies s’appuient de plus en plus sur un partage de la donnée à travers de véritables tours de contrôle, permettant de mieux anticiper les risques, mais aussi de prioriser et structurer la gestion de ces derniers.

Les enjeux de résilience diffèrent en fonction du segment du cycle de vie considéré

Sur l’amont

L’amont de la supply chain s’est fortement complexifié en parallèle d’une mondialisation des flux. Cette transformation nécessite de remettre en question certaines stratégies et management des risques en doublant les points critiques et en intégrant un cout global.

Pour Aurélien Boutet, directeur de segment Automobile & Mobilité chez Capgemini :

« Les industriels sont obligés de sécuriser leurs calendriers de production en prévoyant systématiquement une double source d’approvisionnement pour les produits critiques. Par ailleurs, la relocalisation, au plus proche de leurs centres de décision et de production, est de plus en plus envisagée ».

Pour les matières premières, ce point est d’autant plus critique que la compétition entre les industriels de différents secteurs s’accroit pour assurer la disponibilité et l’accès aux ressources. On voit ainsi se développer de nouveaux arbitrages « make or buy », avec un accompagnement des fournisseurs stratégiques pour développer des centres de production sur plusieurs plaques géographiques, voire une verticalisation de certains éléments critiques (batteries, powertrain, etc.).

Le coût global de cette évolution comprend les coûts des matières premières, de sa transformation et de la logistique, mais aussi les coûts environnementaux et géopolitiques dans le cadre d’une relocalisation. Pour gérer cette complexité accentuée, l’entreprise se doit désormais de renforcer sa capacité d’analyse et de prédiction grâce à la donnée, mais aussi de collaboration avec son écosystème.

Sur l’aval

L’aval de la Supply Chain est sans doute le segment qui devrait rencontrer les principales mutations sous l’impact des pivots partiels de business model vers les services, opérés pour mieux capter la valeur sous la pression réglementaire et sociétale liée au développement durable.

Les enjeux vont ainsi se porter sur l’optimisation des flux, notamment la logistique du dernier kilomètre, l’amélioration de la performance carbone mais aussi la cascade d’exigences ESG (dont le devoir de vigilance) qui vont impacter les partenaires.

Pour Frédéric Berne, Directeur du Centre d’Excellence Supply Chain chez Capgemini :

« Certains acteurs sont en retard et vont subir ce nouveau cadre alors que d’autres se sont déjà positionnés pour en faire un levier business. Le développement durable reste néanmoins souvent aujourd’hui un corolaire de l’efficacité de la supply chain ».

Son optimisation pour des raisons business ou de coûts, apportant au passage des gains environnementaux, notamment carbone.

De la bonne maîtrise de la donnée

Face à ces enjeux, l’utilisation de la donnée, de l’IoT et du temps réel pour construire des « tours de contrôle » de nouvelle génération pour confronter des prédictions à la réalité, en temps réel, représente pour certains acteurs une forme de Graal. Mais pour Aurélien Boutet, « il est important de revenir aux fondamentaux : Quelle est ma stratégie ? Que veux-je mettre en place ? Que dois-je modéliser et pourquoi ? »

Nicolas Clinckx, Directeur du segment Manufacturing chez Capgemini Invent précise :

« Le prédictif revêt un intérêt dans la construction des scénarios “What if” tandis que le temps réel va davantage détecter des signaux faibles internes et externes plutôt que de développer des systèmes automatisés complets ».

Si les « tours de contrôle de la supply chain » font rêver, elles ont en effet besoin de données propres, de gouvernance et d’objectifs clairs en :

  • positionnant l’ensemble des composantes de sa supply chain, y compris les acteurs externes Tiers 2 et 3 et leurs interactions ;
  • identifiant quels sont les goulets d’étranglement (comme les centres de stockage) en les croisant avec les risques et les sources de crises potentielles ;
  • mettant en place un alignement des prévisions de production et de livraison des fournisseurs clés, via une intégration directe des systèmes d’information ou via des plateformes jouant le rôle de tiers de confiance ;
  • penser en amont les process collectifs de réponses aux crises ;
  • préparant en amont les mécanismes de continuité de la donnée lors des changements de prestataires.

Les “control towers” peuvent se transformer elles-mêmes en sources de données autorisant une interprétation, grâce à l’IA générative, de signaux faibles dans les organisations.

Cela implique d’avoir une vraie culture data au sein de l’organisation et de d’abord mener des chantiers d’unification de la donnée, qui peuvent être importants chez des acteurs ayant un héritage important, puis de mettre en place de nouveaux mécanismes de collaboration avec ses fournisseurs, amont comme aval.

Embarquer son entreprise étendue

Des acteurs à différents niveaux de maturité

L’entreprise doit animer désormais un écosystème de fournisseurs de plus en plus important, à qui on va demander de plus en plus de choses : des données métier, de production mais aussi des tableaux de bord de reporting, des Analyses de Cycles de Vie des produits ou juste une « simple » empreinte carbone.

Or cet écosystème est constitué aussi bien de grosses structures que de PME qui n’auront pas les ressources pour digitaliser certains pans d’activité et/ou qui n’ont pas accès à une connectivité temps réel de qualité.

Une implication réelle des donneurs d’ordre

Pour Aurélien Boutet :

« Aujourd’hui ce n’est plus une option, les fournisseurs doivent être de véritables partenaires. C’est le concept d’’entreprise étendue, un principe qui est vraiment à l’œuvre dans l’aéronautique et qui se développe dans d’autres secteurs industriels. Comme avec ses propres collaborateurs, il faut mettre en place des plateformes communes, travailler sur la visibilité, embarquer les dirigeants et leurs équipes et les fidéliser en tenant compte de leurs spécificités ».

C’est donc tout un système d’accompagnement de ses fournisseurs qui doit se mettre en place, en priorisant les acteurs les plus matures et en préparant les autres au changement. C’est par l’implication des donneurs d’ordre que la résilience globale de la chaîne va pouvoir être préservée demain.

Auteurs

Aurélien Boutet

Client Director & Market Segment Head – Automotive & Mobility

Frederic Berne

Expert en Digital transformation, Innovation

Nicolas Clinckx

Directeur du segment Manufacturing, Capgemini Invent
Nicolas a plus de 25 années d’expérience dans le conseil en stratégie et business (Oliver Wyman, EY Parthenon, Capgemini Invent), travaillant sur la stratégie et la transformation digitale pour des leaders de l’industrie manufacturière (Process & Discrete) et des acteurs de l’énergie, de l’environnement et des services techniques : les accompagnant sur leur agenda de croissance, leur modèle opérationnel cible, leurs programmes d’amélioration des Ops et leur transformation durable.

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