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Existe-t-il une éco-trajectoire réaliste ?

Bruno Bouf
1er juillet 2022

Cette question au cœur des préoccupations de la filière aéronautique, des donneurs d’ordre de toute la chaîne et des citoyens était posée à l’occasion de l’édition 2022 du Paris Air Forum.

Bruno Bouf, Vice-président Aerospace & Defense, était invité à y répondre et à partager le point de vue de Capgemini sur le sujet.

La plupart des intervenants de cette journée ont tenu à le rappeler : voyager, aller à la découverte du monde et des autres, est l’une des aspirations les plus fondamentales de l’être humain. Aussi, il n’est ni probable, ni même souhaitable, que l’humanité renonce à l’une de ses plus extraordinaires conquêtes : voler. Sachant que seuls 5% des habitants de la planète ont déjà pris l’avion, l’augmentation du trafic apparaît donc inéluctable, quand bien même de nouveaux usages, comme la visioconférence, des modes de transport alternatifs et la hausse prévisible du prix des billets permettraient de limiter les déplacements superflus.

Sera-t-il dès lors possible de concilier cette croissance annoncée de l’activité avec l’impératif environnemental ? Le transport aérien est déjà responsable de 2,5% des émissions de gaz à effet de serre (GES) mais, si rien n’est fait, cette part pourrait atteindre 9% en 2050. Certes, à l’image de l’objectif « zéro émission nette en 2050 » que se sont donné les compagnies membres de l’IATA, l’ensemble du secteur semble résolument engagé sur la voie de la décarbonation. Une telle transformation est-elle pour autant possible dans des délais aussi brefs ?

Les leviers pour y parvenir sont connus : l’amélioration de l’efficacité énergétique des aéronefs, l’évolution des carburants (SAF, eSAF), l’essor de nouveaux modes de propulsion (électrique, hydrogène), et l’optimisation des vols, des opérations au sol et du remplissage des avions. Alors que certaines de ces solutions sont d’ores et déjà disponibles, d’autres sont encore en phase de développement, et d’autres encore n’en sont qu’à leurs balbutiements.

C’est pourquoi Bruno Bouf distingue deux horizons temporels, avec une phase d’évolution d’ici 2035 et une phase de révolution d’ici 2050. Par ailleurs, les différents acteurs ont aussi chacun leur échelle de temps : alors que les aéroports doivent planifier à dix ans les travaux nécessaires pour bâtir leurs lourdes infrastructures, et que les industriels déroulent leurs programmes de développement sur quelques années, les compagnies ont pour leur part l’œil rivé sur la prochaine saison touristique. 

« Pour mettre en œuvre les solutions qui permettront de tenir les objectifs de décarbonation, il est capital de réussir à faire converger les agendas de toutes les parties prenantes et de leurs projets. »

La tâche est complexe car les incertitudes sont nombreuses et les innovations interdépendantes. Le visage de l’aéroport de demain, parfois décrit comme un « hub énergétique », dépendra ainsi largement de la rapidité et de l’ampleur de la diffusion des nouveaux modes de propulsion.

Par ailleurs, par quel bout qu’on prenne le sujet, les ordres de grandeur des changements à réaliser défient l’imagination. Pour produire 300 millions de tonnes de SAF (sustainable alternative fuel), soit l’équivalent du kérosène consommé aujourd’hui, il faudrait 6 TW d’électricité renouvelable, c’est-à-dire le double des capacités mondiales actuelles. En 2050, l’électrification des transports pourrait absorber, à elle seule, 15 à 18 fois plus d’électricité que n’en produit aujourd’hui la France, ce qui correspondrait au déploiement de plusieurs dizaines de milliers d’éoliennes et de centaines de milliers d’hectares de panneaux photovoltaïques.

Face à des transformations d’une telle magnitude, la nécessaire coordination devra donc s’étendre au-delà du secteur de l’aérien de manière à fixer les priorités, régler les conflits d’usage et se synchroniser sur l’essor des nouvelles sources d’énergie. 

« À la dynamique d’innovation et d’optimisation propre à l’aérien, se superpose la transition énergétique de la société dans son ensemble, qui impose ses engagements, son rythme et ses contraintes. »

Enfin, la soutenabilité de la trajectoire de transformation s’entend aussi du point de vue financier. Or, il est clair que les investissements s’annoncent colossaux. Il ne sera pas possible d’investir dans tout, en même temps, et il faudra faire des choix. 

« La synchronisation ne sera possible qu’au travers d’une dynamique collective. Il faudra à la fois élargir et renforcer la collaboration pour partager les coûts, les risques, les données et les compétences.

C’est un sujet passionnant, qui déborde de l’aviation et qui rassemble dans une dynamique formidable des investisseurs, des startups, des industriels. »

À travers les plateformes de données et les outils d’analyse et de simulation, le numérique aura certainement un rôle déterminant pour faciliter et favoriser ces collaborations étendues, approfondir et partager les connaissances, réduire les coûts et accélérer la mise au point et le déploiement des innovations sans faire de compromis sur les exigences de sécurité.

Pour impulser la transformation, encourager la coordination et orienter les choix des acteurs privés, la réglementation aura elle aussi un rôle déterminant à jouer. Il faut harmoniser les règles du jeu, normaliser les infrastructures et les solutions techniques, trouver un équilibre entre mesures incitatives et mesures restrictives, et préserver une concurrence équitable.

Étant donné l’ampleur des transformations nécessaires, la complexité et l’interdépendance des sujets et l’urgence des délais, la trajectoire qui doit mener à la décarbonation du transport aérien d’ici 2050 ne sera donc pas, quoi qu’il arrive, un chemin de tout repos. Mais si le secteur veut atteindre cet objectif, une chose est néanmoins certaine : il doit continuer d’avancer comme il le fait aujourd’hui, uni et à grands pas.