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Le Composable Cloud, une stratégie technologique pour l’entreprise du futur

Pierre-Olivier Patin
26 juin 2023

Pour décrire le monde dans lequel elles évoluent, les entreprises recourent fréquemment à l’acronyme VUCA, popularisé par l’armée américaine : Volatility, Uncertainty, Complexity, Ambiguity.

Pour s’engager dans la transformation digitale, un autre VUCA a été proposé en guise de réponse : Vision, Understanding, Courage, Adaptability.

Dans un environnement où l’on ne peut ni tout prévoir, ni tout contrôler, il érige ainsi la capacité d’adaptation en vertu cardinale. Cette adaptabilité passe avant tout par celle des systèmes d’information, qui doivent pouvoir accompagner les fluctuations rapides de l’activité. C’est pourquoi la flexibilité est devenue le leitmotiv de toutes les réflexions sur le management de l’IT. La méthodologie 12 Facteurs souligne en particulier l’importance capitale du découplage des différents composants technologiques, de manière à pouvoir modifier un élément du système sans qu’il soit nécessaire de reprendre tous les autres. Cette capacité, à rebours des grands systèmes monolithiques et cloisonnés du passé, est la pierre angulaire de la logique composable. Composer, c’est se donner la capacité de changer, de s’adapter, d’améliorer, d’innover, et surtout de pouvoir le faire très vite, à moindre coût, et sans perturber ou mettre en péril le reste du SI.

Les principes du composable

Le composable repose sur quatre principes fondamentaux : la modularité, l’autonomie, l’orchestration et la découverte. Pour saisir toute leur portée, l’analogie usuelle avec un célèbre jeu de construction danois est particulièrement éclairante. Il est possible de tout construire à l’aide de briques élémentaires pourvu qu’elles respectent quelques règles : elles doivent toutes être compatibles les unes avec les autres grâce à des interfaces rigoureusement standard ; leurs formes, tout en étant très variées, sont immuables et connues à l’avance ; ces formes ne sont ni trop petites, pour accélérer la construction, ni trop grandes, pour rester suffisamment génériques et être réutilisables au maximum ; les attributs structurants (formes, couleurs, interfaces…) sont pérennes et gérés en dehors des projets ; les briques, enfin, sont convenablement référencées, rangées et documentées pour que chacun puisse les retrouver facilement et les utiliser à bon escient.

Contrairement à d’autres approches modulaires, le composable applique ces principes au-delà de l’assemblage de briques technologiques élémentaires, ce qui évite notamment la granularité trop fine des micro-services et démultiplie les possibilités de mutualisation.
Par exemple, on définira un package de capacités business réutilisables comme un panier de site e-commerce, proposant la gestion du contenu, la prise en compte des remises, les options de livraison, l’évaluation des délais de livraison … à la place d’une capacité technique unitaire d’un API d’ajout d’article au panier.


En déclinant le composable de bout en bout, et à tous les niveaux, l’entreprise constitue ainsi son propre jeu de « building blocks » technologiques, avec lesquels elle bâtit des applications composites, puis des solutions composites, puis, enfin, des business composites. Entre chacun de ces niveaux, une couche d’abstraction masque aux utilisateurs la complexité sous-jacente. Ainsi, ils peuvent se concentrer sur la logique d’assemblage tout en ayant la certitude que les éléments qu’ils utilisent sont opérationnels, interopérables et conformes aux règles de l’entreprise.

Pour que l’ensemble puisse fonctionner, deux éléments sont essentiels : d’une part, le caractère standard et pérenne des interfaces, on l’a vu, et, d’autre part, la gestion par événements (event-driven). De cette façon, chaque composant du système est informé directement de ce qui se passe et agit en conséquence, de manière coordonnée, sans attendre les instructions d’une autorité régulatrice. C’est pourquoi, plus encore que d’orchestration, on pourrait parler pour le composable de chorégraphie : tandis que l’orchestration suppose un contrôle centralisé, qui donne le ton et rappelle à l’ordre en cas de dérive, la chorégraphie donne à chacun les directives et les outils pour qu’il s’exprime librement, en harmonie avec les autres, et sache s’adapter de lui-même pour maintenir la cohésion de l’ensemble, notamment en cas de panne ou de variations de charge.

Le composable, une approche d’entreprise

Traversant toute l’organisation, le composable est en définitif un schéma de pensée qui relie la stratégie à la technique, et cela dans les deux sens : de la stratégie découlent les règles globales qui façonneront les building blocks ; de la technique remontent des opportunités business dont les décideurs auront les moyens de s’emparer. Autrement dit, beaucoup plus qu’un parti-pris de développement, le composable est une stratégie technologique d’entreprise, qui envisage d’emblée celle-ci comme un édifice (on parle souvent d’entreprise-plateforme) et qui absorbe les impératifs de construction pour faire de leur maîtrise un avantage concurrentiel face aux défis du futur. Dans un secteur comme le manufacturing, par exemple, la composable apporte la souplesse nécessaire à la personnalisation et aux petites séries, aux perpétuels aléas de production, aux constantes évolutions réglementaires, aux innovations produit, tout en apportant la robustesse, la résilience, la sécurité et les performances qu’exigent les processus industriels.

Le cloud, l’incontournable socle technologique

En pratique, l’architecture composable est donc constituée d’éléments de base standardisés et interopérables. Le cloud en est le socle, l’« enabler », incontournable car il propose déjà sur étagère de très nombreux services élémentaires, qu’il n’est donc pas nécessaire de redévelopper. En revanche, pour devenir des building blocks, ces services doivent être adaptés aux spécificités de l’entreprise, qui leur adjoint ses propres règles de sécurité, d’administration, de consommation, FinOps, etc. Un building block, c’est un service cloud contextualisé et personnalisé, assorti de son guide d’utilisation.

Ensuite, grâce à ces building blocks, on pourra développer des applications cloud natives en s’appuyant sur des méthodes adaptées (12 Facteurs, DDD, DevOps, agile…) ainsi que sur des technologies et un outillage appropriés. On peut notamment citer Dapr (Distributed Apps Runtime), qui dissocie les aspects fonctionnels des aspects techniques, regroupés dans un environnement d’exécution autonome (side-car) ; les architectures serverless, qui permettent, elles aussi, de focaliser les développeurs sur les enjeux métiers tout en réduisant au minimum les ressources d’exécution ; ou encore Kafka pour la gestion par événements.

Pour leur part, les grands cloud providers ont pris le virage de cette tendance émergente et proposent, chacun à leur manière, des « composers » : Application Composer d’AWS, pour le design d’application serverless ; Cloud Composer de GCP, un workflow d’orchestration de services ; Composable Cloud d’Azure, qui propose des architectures de référence et complète son approche avec le développement Low Code/No Code de la suite PowerApps de Microsoft, par nature composable.

Comment débuter ?

Le composable est une véritable révolution culturelle dans la façon dont l’entreprise se conçoit, fonctionne et crée ses applications. C’est donc une transformation profonde, qui touche toute l’organisation, à tous les niveaux. Sauf pour des activités entièrement nouvelles, qui partiraient d’une feuille blanche, il est difficile d’imaginer qu’elle puisse se décréter du sommet. Il s’agit plutôt d’organiser une diffusion des principes et de la culture composable depuis la base en suscitant des vocations de pionniers, en soutenant leurs initiatives et en les valorisant. Le rôle de ces leaders sera de tester et valider les concepts dans le cadre de l’entreprise, puis de convaincre des sponsors, qui auront, à leur tour, la capacité de fédérer autour de la démarche afin d’en élargir l’adoption.

Auteur :

Pierre-Olivier Patin

Group CTO Cloud & DevOps, Sogeti part of Capgemini
Pierre-Olivier est passionné par l’adoption des technologies, en particulier cloud, DevOps et Plateforme engineering. Il apprécie tout particulièrement la mise en perspective, du contexte métier, de l’architecture et des organisations à l’échelle de l’entreprise, avec les capacités technologiques et les pratiques agiles de design et de développement, au service de l’efficience et de l’innovation des applications et produits.