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L’avion de demain – Vision croisée

Patrice Duboé
11 décembre 2022

À l’occasion du Strategic Aerospace Seminar qui s’est tenu le 1er décembre dernier et dont Capgemini est partenaire, retour sur les grands enjeux d’innovation de l’avion de demain. Sa mission : la décarbonation du secteur… et, avec, sa probable survie.

L’avion de demain était au cœur des échanges du Strategic Aerospace Seminar dont Capgemini est partenaire. L’événement a réuni le 1er décembre dernier plus de 200 décideurs et experts issus de l’ensemble de l’écosystème sur le Campus Safran en région parisienne. C’était aussi le thème de la table ronde animée par Patrice Duboé, EVP – CTIO South & Central Europe de Capgemini. Un moment d’échange important car les enjeux d’innovation n’ont jamais été aussi forts pour le secteur aéronautique. Pour l’ensemble des acteurs présents, la décarbonation de l’aviation représente le défi numéro 1 qui va pousser l’innovation pour la prochaine décennie a minima. D’ailleurs, pour Olivier Criou, Head of R&T & Lead Architect chez Airbus, “the challenge is so high that we need to throw everything at it”.

Atteindre le Net Zero, un impératif sectoriel

L’objectif est connu : le Net Zero du secteur d’ici à 2050. “We must do it… and we can !” s’est voulu rassurant Jean-Paul Herteman, ancien PDG de Safran et actuel Président d’honneur du GIFAS (le groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales). Mais le temps est compté. Pour tenir ses engagements, le secteur doit en effet être prêt à déployer des avions Zero-Emissions d’ici à 2035. Compte tenu des délais de développement, l’échéance est en réalité plus proche. D’ici à 2027/2028, les constructeurs et leurs partenaires devront avoir défini les innovations incrémentales et de rupture à intégrer dans le design des futurs avions et systèmes, avant de lancer les programmes de conception, d’essai et de certification.

Une échelle de temps incompressible pour une révolution à 360°. Avec l’avion Zéro-Emissions, tout doit être revu, repensé, optimisé avec, pour Olivier Criou, 3 grands périmètres de réflexion et d’action :

  • Les nouveaux carburants et les nouvelles sources d’énergie,
  • L’optimisation et l’efficacité énergétique de l’avion en tant que tel,
  • L’optimisation des opérations.

Développer les filières hydrogène et SAF

“Sustainability for airplane is mostly an energy management issue

Head of R&T & Lead Architect chez Airbus

Les batteries, même solides, ne pourront répondre aux enjeux de puissance. L’avenir se tourne vers l’hydrogène vert, ce qui implique de travailler sur l’ensemble de la chaîne, de la production en amont à la distribution dans les aéroports. Pour autant, produire cette énergie de manière décarbonée requiert une quantité massive d’électricité elle-même décarbonée. Cette difficile équation interroge sur la future disponibilité réelle de cette énergie prodigue et sur son coût. A titre d’exemple, Air France a chiffré les besoins de sa flotte à 6 réacteurs nucléaires pour produire l’énergie nécessaire.

Une autre piste envisagée par la filière pour se décarboner réside dans les SAF, les Sustainable Aviation Fuels (ou carburants d’aviation durable – CAD). Ils rassemblent les bio-carburants issus des déchets verts, de la biomasse ou de productions agricoles dédiées, et les carburants chimiques de synthèse. Aucune de ces deux ressources ne représente une option idéale, puisque chacune présente divers inconvénients en termes de disponibilités et de coûts. Une compagnie comme Air France prévoit ainsi de consommer à peine 10% de CAD d’ici à 2030, alors que les avions existants peuvent accepter entre 50% et 100% de CAD suivant leur âge.

Au-delà de la décarbonation seule, l’innovation doit s’intéresser également au cycle complet de combustion. Celui-ci peut améliorer la performance de l’aviation concernant le NOX (l’oxyde d’azote) et les particules fines, comme l’a rappelé Axel Krein, Executive Director Clean Sky Joint Undertaking (Bruxelles).

L’énumération de la liste des contraintes des nouvelles ressources aboutit à une conclusion simple : la substitution seule du kérozène par un carburant plus vert ne pourra suffire à atteindre les objectifs d’amélioration sensible de la performance environnementale des avions, et d’engagement de ceux qui les conçoivent et les utilisent. Constructeurs, équipementiers et intégrateurs ont pour obligation de travailler rapidement et massivement sur l’efficacité énergétique de l’avion dans son intégralité.

Augmenter l’efficacité énergétique des avions

Cette obligation se traduit dans les plans stratégiques de la filière par des objectifs ambitieux :

  • 50% de gain pour les avions régionaux,
  • 30% dans un premier temps pour les Small et Medium Sized Aircrafts (soit les familles A320 et A330), avant de monter également à 50%.

Pour les atteindre, les ingénieurs aéronautiques vont devoir activer l’ensemble des leviers d’innovation, en commençant par des évolutions incrémentales continues, notamment autour des matériaux et de la fabrication additive pour réduire le poids, de la dynamique des fluides pour améliorer la portance et limiter encore les trainées ou encore l’électrification de nouveaux sous-systèmes. Plusieurs innovations de rupture sont également indispensables, en particulier sur les moteurs pour augmenter le volume de débit d’air traité, sur les réacteurs qu’il faudra faire grossir ou multiplier le long des ailes, et sur la transmission de l’énergie pour laquelle on peut réfléchir à des systèmes de récupération et réinjection de l’énergie non-consommée.

Qu’elles soient continues ou de rupture, ces innovations vont impacter de manière importante la structure des systèmes (vers de l’open fan par exemple) et impliquer une architecture totalement réinventée pour certains avions de demain, avec un positionnement revu des moteurs ou encore une envergure de l’avion potentiellement différente entre les phases de vol (ailes déployées) et de roulage.

Dans cet environnement structurel mouvant, un seul élément reste immuable et critique : la sécurité. Celle de l’appareil, des passagers qu’il transporte, ou encore des aéroports qui l’accueillent. Malgré des systèmes différents, la sécurité doit être maintenue à un niveau équivalent de celui d’aujourd’hui, voire renforcé pour aider les pilotes à gérer une complexité des systèmes accrues.

Repenser les plans de vol et optimiser le trafic

Réviser le « flight management » et travailler sur le « trafic management » représentent des axes de travail complémentaires dans la recherche de pistes pour limiter la consommation de carburant de l’avion. Si l’éco-pilotage fait dorénavant partie des modes opératoires, il peut être encore optimisé. Ainsi, les données météo fournies en temps réel par une connectivité des appareils renforcée engagent les pilotes à préférer une route à une autre. Les atterrissages sont également soumis à la réflexion pour envisager une meilleure répartition de l’utilisation des pistes et des parkings pour éviter les attentes trop longues. Ou encore, la mise en place de vols en formation qui devient une option considérée comme très intéressante.  

L’idée ? Un avion leader suivi d’un ou plusieurs avions qui profitent des vortex générés par l’avion de tête pour améliorer leur portance. Le gain envisagé pourrait être de 5%, voire 10%, sur la consommation de carburant.

Inventer de nouvelles manières de collaborer

Émergentes depuis longtemps, ces trois orientations majeures bouleversent désormais le marché de façon imminente. Par ailleurs, le reste du monde étant lui aussi bouleversé, les travaux doivent être entrepris en simultané et en maintenant “the economic affordability of travelling by plane for our customers and for the end customer”, comme l’a rappelé Olivier Criou.

Par conséquent, l’écosystème doit se mobiliser dans son intégralité, en coordonnant et organisant ses efforts, avec de nombreux nouveaux entrants car ces révolutions rebattent en partie les cartes de la chaîne de valeur. Ces nouveaux acteurs, souvent des startups, se positionnent sur des niches non adressées ou sur les éléments de rupture qui viennent compléter l’offre des acteurs historiques. Ils travaillent ainsi sur la verticalisation et l’intégration de nouveaux systèmes comme des EMS (Energy Management System) intégrés aux avions. Autant de briques technologiques qui intéresseront de grands acteurs demain. Dans le secteur de l’aviation, la cross-fertilisation entre les grands acteurs et les startups pour accélérer l’innovation et atténuer les risques induits a de très beaux jours devant elle.

Au-delà des innovations de rupture, l’innovation continue concerne l’ensemble des parties prenantes du secteur des bureaux d’étude, des lignes de production, et de la chaîne d’approvisionnement toute entière puisqu’il faut revoir la manière de fonctionner, de collaborer, de délivrer. Continuité digitale, jumeaux numériques intelligents et intelligence artificielle sont les outils indispensables pour gérer la complexité et accélérer les cycles de conception et production. Plus que jamais, l’enjeu pour Capgemini porte sur la transcription dans les actes des engagements de notre approche Intelligent Industry.

Demain, les IA seront embarquées dans des avions considérés comme des « safety critical environnements », avec un lot d’impensés : comment certifier une IA demain ? Comment construire des environnements virtuels sûrs, permettant d’entraîner et de déployer des IA pilotes d’avion ou de drones avec passagers. Plus que jamais, la data devra être pertinente, validée, accessible, intègre et non corruptible, tout en répondant aux différentes réglementations mondiales sur la confidentialité ou, peut-être, à un cadre spécial unifié. La cybersécurité est déjà, et le sera encore davantage demain, un passage obligé entre les départements d’un industriel, entre les donneurs d’ordre et les contributeurs, entre les utilisateurs et les appareils.

« C’est dans notre capacité à offrir aux acteurs historiques, aux nouveaux entrants, et à la somme des deux, toutes les compétences liées aux enjeux de demain que réside la force d’un groupe intégré comme Capgemini. Les constructeurs et leurs partenaires vont avoir besoin de mobiliser des expertises qui ne sont pas toujours au cœur de leurs modèles et que maîtrise une entreprise comme la nôtre. De même, le manque de ressources d’ingénieurs en France et en Europe amène à travailler en écosystème y compris de ressources. Cela nous pousse à imaginer de nouveaux schémas de coopération et à revaloriser de façon collégiale les filières de l’ingénieur dans l’aéronautique. Sans ce travail en filière, c’est tout le développement de l’avion de demain qui risque d’être freiné, ne permettant pas au secteur de répondre aux ambitieuses attentes des États, des entreprises et des voyageurs. »

Patrice Duboé, EVP – CTIO South & Central Europe de Capgemini

Auteur

Patrice Duboé

EVP – CTIO South & Central Europe