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Transformer nos politiques culturelles ne doit plus être affaire d’exception !

Héloise Biard & Jean-Baptiste Perrin
7 octobre 2022
capgemini-invent

En cette année Molière, chacun a l’occasion de ressentir à quel point certains auteurs du passé peuvent continuer à nous parler du présent de nos sociétés, comment la création d’hier est le patrimoine d’aujourd’hui et à quel point la diversité des canaux de diffusion est importante pour en assurer le rayonnement sur l’ensemble du territoire et à l’international.

Néanmoins, elle est en proie à de profonds bouleversements et de nouvelles dynamiques (streaming, jeux vidéo et mondes immersifs, etc.) qui recomposent fortement le paysage culturel. Le public se partage quant à lui entre une génération ancienne, à l’appétence marquée pour une culture variée à tendance classique, et une jeunesse particulièrement vorace de culture numérique, focalisant son attention sur des médias spécifiques.

Ces évolutions majeures, aux effets accentués par la crise sanitaire, apportent avec eux de nombreux défis, et la digitalisation se présente comme le levier indispensable à la pérennisation du secteur dans toute sa diversité.

I – Les défis d’un secteur tiraillé à la recherche du bon équilibre

L’essor des services en ligne et des nouvelles plateformes a en effet modifié en profondeur les pratiques et les modèles de rémunération, à l’heure où le streaming représente près de 70% des ventes de musique enregistrée . Il est venu s’ajouter à un phénomène de concentration d’un secteur composé d’une myriade de petites et moyennes entreprises, qui font toute la richesse et la diversité du secteur culturel français, dans lequel cependant seule une poignée d’acteurs se partage la majorité des chiffres d’affaires.

Ces nouvelles pratiques soulignent également les questions de renouvellement et de diversification des formes d’expression artistique. Les plateformes démocratisent l’accès à la culture mais tendent aussi à une uniformisation des pratiques, et les acteurs indépendants doivent faire preuve d’ingéniosité afin de continuer à faire vivre des modèles alternatifs. Les pouvoirs publics ont ainsi un rôle d’équilibre à trouver entre encourager la compétitivité des acteurs culturels et soutenir les acteurs de niche, favoriser l’accès le plus large à la culture et faire découvrir des esthétiques à diffusion plus confidentielles.

En réponse à ces défis, les acteurs culturels doivent trouver de nouvelles réponses : atteindre de nouveaux publics, inventer de nouveaux parcours et de nouvelles formes d’art et imaginer des modèles économiques innovants pour les accompagner. A l’heure d’une mondialisation croissante des contenus et des cibles, impactée néanmoins fortement au travers de la baisse du tourisme mondialisé suite à la crise Covid, ils réinvestissent ainsi massivement l’ancrage territorial de leur activité au cœur de la vie et des spécificités de leur territoire. Mais aussi s’appuient sur le numérique pour en tirer toutes les opportunités.

II – Le numérique au service d’une réinvention de l’expérience culturelle

La technologie et le numérique se mettent désormais au service de l’expérience et de la connaissance de l’usager.

Ainsi, la collecte de données, notamment en ligne, offre la possibilité de mieux analyser les visiteurs/spectateurs, de les segmenter pour mieux comprendre et répondre à leurs besoins. Anticipation des tendances, proposition de fidélisation ou enrichissement d’un écosystème de partenaires, ces analyses peuvent servir de nombreuses

opportunités pour aboutir à une des offres toujours plus adaptées et personnalisées sur un territoire ou en ligne, clef pour capter de nouveaux publics.

Par ailleurs, le digital doit devenir partie intégrante de l’expérience physique et la transcender : à chaque étape du parcours de l’usager, il facilite la préparation des visites en amont, permet de personnaliser les parcours, imagine de nouvelles expériences participatives et interactives, transforme les espaces culturels en lieux de vie amplifiés. De même, la diffusion de contenus culturels en ligne est essentielle pour maintenir le lien avec le public au-delà de l’expérience physique. La numérisation des fonds et collections, et leur ouverture dans le respect des droits d’auteur, est un relai puissant de partage et de rayonnement.

Cette richesse des données culturelles numérisées (collections numérisées, fonds audiovisuels, modélisation de chantiers de fouilles en 3D, archives et fonds de bibliothèques numérisés, etc.) devient désormais une mine d’or pour imaginer la création de services et produits innovants à destination du grand public mais également pour favoriser l’enseignement et la recherche, en renforçant la protection de la mémoire des œuvres et en favorisant leur analyse (ex : la modélisation des vestiges de Palmyre en 2018 , ou encore les technologies mobilisées pour la reconstruction de Notre-Dame ).

III – Vers de nouveaux usages

Le secteur culturel a payé un lourd tribut avec la pandémie et les mesures restrictives qui en ont découlé. Pendant de longs mois, les musées et les salles de spectacle, de cinéma sont restés clos et les travaux architecturaux et archéologiques ont ralenti. La reprise s’est faite lentement, au gré des vagues de déconfinement successifs et encouragée par des plans de soutien et d’investissement massifs de l’Etat. Mais le retour dans les salles tarde à revenir au niveau pré-covid (en baisse de près de 25% en 2022 vs. leur niveau avant Covid-19 ).

La crise a montré l’urgence de l’appropriation des outils numériques et leur rôle incontournables. Ceux qui avaient déjà le vent en poupe ont pu tirer leur épingle du jeu, le secteur du jeu vidéo ne s’étant jamais aussi bien porté et les plateformes numériques ayant vu leur nombre d’abonnés déjà conséquent gonfler. Les acteurs privés comme publics doivent continuer à tirer pleinement parti des opportunités de transformation qu’offre le numérique (à la fois pour créer de nouveaux usages, repenser l’impact du numérique sur les politiques publiques mais aussi pour gagner en performance). Alors même que les prochaines évolutions sont annoncées avec l’avènement du métavers et les possibilités ouvertes par les NFT, les réflexions se multiplient déjà pour anticiper les profondes mutations qu’ils représentent pour aller chercher de nouveaux relais de croissance et imaginer le futur du secteur.

Le XIXème siècle s’est conclu avec l’apparition du cinéma, le jeu vidéo a bouleversé la deuxième moitié du XXème siècle, et si nous ne connaissons pas la nature de la prochaine révolution, nous pouvons aisément penser qu’elle sera pleinement digitale.

Auteurs

Jean-Baptiste Perrin

Expert en Innovation Strategy, Marketing & Communications – Public Sector, Capgemini Invent
Jean-Baptiste dirige les activités à impact sociétal et la RSE au sein de Capgemini Invent. Après une première expérience au Département des Finances de la Mairie de New York, il rejoint Capgemini France en 2007. Aujourd’hui, il développe également Purpose en France et à l’international, une agence Public Benefit Corporation qui développe des mouvements de mobilisation collective pour favoriser la construction d’un monde inclusif, durable et solidaire. Jean-Baptiste enseigne à Sciences Po Paris depuis plus de 15 ans.
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