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Données personnelles en ligne : tendances, enjeux et législation

Capgemini Invent
12 juillet 2021
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Au cours des derniers mois, la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) a décidé de durcir le ton en matière de gestion du consentement et des cookies.

Le placement de cookies (sauf fonctionnels) ne peut intervenir sans le consentement de l’internaute. Avec sa nouvelle recommandation applicable au 31 mars 2021, refuser les cookies doit être aussi facile que de les accepter.

Pourtant, depuis le 1er avril 2021, de nouveaux paywalls sont apparus. Certains éditeurs de contenus web conditionnent l’accès à leur contenu au dépôt de cookies. Ils proposent l’alternative suivante : profiter gratuitement du contenu du site et accepter l’ensemble des cookies publicitaires (comme précédemment) ou payer un abonnement mensuel pour les utilisateurs ne souhaitant pas consentir aux cookies et accéder au contenu du site

Ces nouvelles pratiques sont-elles légales ? Respectent-elles le cadre fixé par la CNIL ? Ont-elles un réel intérêt marketing et économique pour les éditeurs ? Quel est l’impact pour les utilisateurs et le respect de leur vie privée ?

Une réglementation floue, qui pour le moment n’interdit pas la pratique

Entré en application en 2018, le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) n’abordait pas explicitement les règles d’utilisation des cookies et traceurs. En 2019, la CNIL a publié ses lignes directrices en matière de cookies et autres traceurs dans le cadre de son plan d’action sur le ciblage publicitaire, afin de préciser les règles applicables et les bonnes pratiques en la matière. Ces lignes directrices remettaient en cause l’utilisation des cookies walls en interdisant le recours à ces pratiques jugées intrusives et non respectueuses de la vie privée.

Suivant l’avis de ses homologues européens, la CNIL considère comme une entrave au consentement libre le fait de limiter l’accès aux services et fonctionnalités s’il n’y a pas consentement de l’utilisateur au stockage d’informations, ou à l’accès à des informations déjà stockées dans son équipement terminal.

En 2020, le Conseil d’Etat a validé l’essentiel des recommandations de la CNIL en matière de cookies et traceurs.

Cependant, il a annulé la disposition des lignes directrices prohibant de façon générale et absolue la pratique des « cookie walls », en jugeant qu’une telle interdiction ne pouvait figurer dans un acte de droit souple (ensemble de règles non obligatoires).

La CNIL a pris acte de cette décision et a ajusté en conséquence ses lignes directrices. Si le recours aux cookies walls n’est pas interdit en France, la situation reste cependant en suspens et non clarifiée car le Comité Européen de la protection des données personnelles maintient sa position à l’encontre des cookies walls. La CNIL reste très vigilante et se réserve le droit de déterminer au cas par cas si le consentement des personnes est libre et si un cookie wall est licite ou non. En particulier, elle est très attentive à l’existence d’alternatives réelles et satisfaisantes, notamment fournies par le même éditeur, lorsque le refus des traceurs non nécessaires bloque l’accès au service proposé.

Les paywalls : un nouveau modèle économique pour les éditeurs de contenu fortement affectés par la digitalisation et les nouveaux médias

L’usage de paywalls n’est pas nouveau pour les créateurs de contenu en ligne. Apparus en 2002 et popularisés dans les années 2010, ils permettent à ces derniers en conditionnant l’accès au contenu d’optimiser leur rémunération. Il en existe plusieurs types, qui bloquent plus ou moins l’accès au site. Ces paywalls permettent également aux créateurs de contenu de détecter les « ad blockers », les bloqueurs de publicités en ligne.

Le recours aux paywalls s’inscrit dans un contexte de forte concurrence pour les éditeurs, la presse et plus généralement les carrefours d’audience (lieux privilégiés par les internautes, où ils se rendent pour chercher des informations). En proposant du contenu accessible gratuitement, ceux-ci doivent trouver un modèle économique viable et ne peuvent se passer de valoriser leur audience sans publicité. Ceci est d’autant plus vrai que leurs sources de revenus n’ont cessé d’évoluer avec l’expansion du numérique. L’arrivée de nouveaux médias et de nouveaux formats, l’intermédiation des GAFAM ont fortement impacté leur rentabilité.

Dans ce contexte, les créateurs de contenu digitaux doivent constamment trouver le bon équilibre entre développement de contenu généraliste gratuit au profit d’une régie publicitaire à forte audience et promotion d’un autre modèle de valorisation de l’audience, que les paywalls permettent d’expérimenter. Cependant, face à des internautes habitués à la gratuité des contenus, leur appréhension à l’engagement et leur volonté grandissante d’un internet éthique, cet équilibre doit également se faire au profit des utilisateurs. L’objectif ? Une juste valorisation de leurs données personnelles.

Ainsi, les paywalls payants permettent de tester de manière itérative des parcours pour favoriser la conversion des internautes en abonnés payants. Entre abonnement payant et gratuité complète, il s’agit avant tout d’ouvrir une réflexion plus globale sur l’offre et son contenu, pour proposer des produits et services utiles, légitimes et différenciants. Une offre payante peut s’accompagner d’une ligne éditoriale spécifique, de contenu spécialisé et exclusif, d’évènements et d’expériences relationnelles, qui pourront aussi bien développer l’engagement client que la marque.

Une pratique largement remise en cause par les utilisateurs

Pour les internautes, les paywalls sont synonymes de perte de fluidité dans la navigation. Pop-up publicitaires, bandeaux des cookies, demandes de géolocalisation, abonnement newsletter, désactivation d’ad blocker… autant de clics ajoutés avant d’accéder au contenu recherché. Si le nombre optimal de clics pour accéder à une information est de 3, le quota est vite atteint sans que l’utilisateur ait pu obtenir ce qu’il recherche, générant ainsi de la frustration.

Les études en UX/UI soulignent également la nécessité d’avoir des clics « simples », intelligibles. Les divers pop-ups, si elles sont situées tour à tour en bas de page (habituellement pour les cookies), en milieu de page (newsletter, demande de retrait de l’ad blocker) ou en haut de page (géolocalisation) dérogent à la règle de simplicité. Il faut ajouter à cela le classique bandeau de gestion des cookies : « accepter ou paramétrer les cookies », le dernier choix menant généralement vers une liste interminable d’options à décocher.

Au-delà de la perte de fluidité, la grande question que se posent les utilisateurs autour des nouveaux paywalls est : « suis-je prêt à payer ? » Des études ont été menées sur les paywalls « classiques », et les conclusions convergent : peu d’utilisateurs sont prêts à mettre la main au porte-monnaie pour accéder au contenu en ligne (moins de 15%), et la majorité préfère trouver une alternative gratuite pour accéder à un contenu similaire. Ce mode d’utilisation met en exergue l’importance de la gratuité d’internet pour les internautes – un principe en contradiction avec la réalité, quand on sait que le contenu est produit par des professionnels et des organismes à but lucratif.

Enfin, l’usage des Paywalls, cookies et autres traceurs publicitaires soulève également des questions en matière d’éthique. Internet est souvent considéré comme un espace public. Restreindre l’accès à certains contenus, notamment en les rendant payants, réduit l’égalité d’accès en discriminant les populations les moins favorisées.

Self Data ou le Zero party data, opportunités de nouvelles créations de valeur pour les entreprises

Le recours aux paywalls présente de nombreux freins et limites. Quelles sont les alternatives de valorisation des données personnelles qui seraient respectueuses de l’éthique ?

En opposition au traitement des données personnelles de type First Party (collectées par l’entreprise) ou Third Party Data (vendues par un tiers), des initiatives de type Zero Party Data se développent. La Zero party data se définit comme de la donnée personnelle partagée intentionnellement et proactivement par l’individu en contrepartie d’un service clair. Ainsi, de nouveaux services aux individus peuvent être imaginés, avec des recommandations et des contenus plus personnalisés, à partir d’informations intentionnellement partagées par l’individu.

Avec le self data, le partage et l’exploitation de données s’opèrent sous contrôle des individus et à leurs propres fins. Les prémices en sont visibles dans le secteur bancaire. C’est également le cas dans l’énergie. Enedis s’est par exemple doté d’API pour permettre la portabilité des données Linky. A ce jour, une quarantaine d’entreprises s’y connectent pour fournir à leurs clients des conseils sur leur consommation énergétique. Les personnes sont ainsi plus à mêmes de partager leurs données si elles savent concrètement le bénéfice qu’elles y gagnent (une simplification des démarches, un nouveau service plus personnalisé…). Le secteur public adopte également le self data. La métropole de Lyon a, par exemple, récemment défini sa stratégie autour du self data sur son territoire avec pour ambition d’en faire les prémices d’un modèle national voire européen.

En conclusion, des alternatives aux traditionnels cookies existent, aussi bien pour les utilisateurs que pour les éditeurs de contenu web. Il n’existe à ce jour pas de formule « parfaite », qui conviendrait à toutes les parties. C’est à force de recherche et expérimentations que des solutions optimales pourront émerger, sous l’œil attentif de la CNIL.

La question n’est pas tant d’interdire les cookies walls que de rester vigilants quant à leur utilisation qui doit s’inscrire dans un cadre éthique dont les frontières sont parfois difficiles à définir. C’est pourquoi, au-delà des initiatives du type Self Data, il est nécessaire d’encourager les entreprises à affiner leur politique en matière d’éthique de la donnée ainsi que l’expérience qu’elles souhaitent faire vivre à leurs utilisateurs. Qui plus est, se focaliser sur la finalité permet un recentrage sur les services à forte valeur ajoutée pour les consommateurs, et ainsi rentabilise les investissements marketing.