Passer au contenu

Selon la 15ème édition annuelle de l’Observatoire Européen des Marchés de l’Energie, la situation très perturbée des marchés de l’électricité et du gaz en Europe menace la sécurité d’approvisionnement en énergie dans cette région

10 oct. 2013

Trois principaux facteurs qui se conjuguent sont à l’origine de cette situation perturbée impactant  les entreprises et les consommateurs européens

l>
La crise économique

La crise économique a impacté négativement les consommations d’électricité et de gaz particulièrement celles des clients industriels. En 2012, la consommation électrique totale a décru de 0,2% par rapport à 2011. Cette diminution s’accélère au premier semestre 2013 (-1,2% par rapport au premier semestre 2012). Quant à la consommation de gaz, elle a connu une baisse plus sensible que celle de la consommation d’électricité en 2012 (-2,2%) mais elle se stabilise au premier semestre 2013 (-0,4%).

  1. La mise en œuvre du paquet Energie-Climat

En imposant 20% d’énergies renouvelables dans la consommation finale d’énergie en 2020 dans l’Union européenne, le paquet Energie-Climat a provoqué un essor rapide des énergies renouvelables qui mettent aujourd’hui sous pression la compétitivité des centrales au gaz.
En effet, alors que les coûts d’investissements élevés des ENR[1] sont subventionnés, leurs coûts d’exploitation sont faibles ce qui leur donne priorité dans l’ordre d’appel (merit order) des capacités de production d’électricité. En conséquence, les centrales au gaz, dont les coûts d’exploitation sont plus élevés, sont moins sollicitées que les ENR.

Ainsi, dans deux pays de l’Union Européenne qui ont développé largement les énergies renouvelables, le taux d’utilisation moyen des centrales au gaz a chuté considérablement : en Espagne celui-ci est tombé à 11% sur la première moitié de 2013 alors qu’en Allemagne ce taux a été inférieur à 21% en 2012. Or selon l’AIE[2], un taux d’utilisation minimum de 57% est nécessaire pour assurer la rentabilité de ces centrales.

  1. L’impact du développement des gaz non conventionnels aux Etats-Unis

Le développement spectaculaire des gaz non conventionnels de l’autre côté de l’Atlantique[3] a fait baisser le prix du gaz aux Etats-Unis[4] contribuant ainsi au redressement de l’économie américaine[5]. Grâce à ce prix bas, le gaz s’est substitué au charbon comme combustible dans les centrales à énergies fossiles créant un surplus de charbon sur le marché américain. Ce surplus a été exporté vers l’Europe entrainant une baisse des prix du charbon de 30% entre janvier 2012 et juin 2013. Cette baisse a favorisé la compétitivité des centrales au charbon en Europe ce qui s’est traduit par un taux d’utilisation bien meilleur que celui des centrales au gaz[6].

Pour l’Observatoire, les conséquences sur les marchés de l’électricité et du gaz en Europe sont sévères

  1. La fermeture de centrales au gaz

L’un des impacts majeurs de cette situation sévère est la fermeture rapide de nombreuses centrales au gaz en Europe. L’institut IHS[7] a estimé récemment qu’environ 130 000 MW de centrales au gaz en Europe (soit 60% de la capacité installée) ne couvraient pas leurs coûts fixes et risquaient d’être fermées d’ici 2016[8]. Ces centrales, qui sont indispensables pour assurer la sécurité d’approvisionnement durant les heures de pointe, sont remplacées par des énergies renouvelables dont la production d’électricité est volatile et non programmable.

  1. Le poids des subventions aux énergies renouvelables

Si de nombreux gouvernements européens ont révisé à la baisse leurs politiques de soutien aux ENR, la croissance de leur part dans le mix énergétique engendre une forte croissance des subventions à ces énergies qui pèsent sur les finances des Etats déjà fortement endettés. Ces subventions qui sont répercutées dans le prix final de l’électricité impactent le niveau de vie des consommateurs déjà touchés par la crise économique.
Par exemple, en Allemagne, la taxe EEG[9] a augmenté de 1,31 centimes d’euros par kWh en 2009 à 5,28 centimes d’euros par kWh en 2013 et représente un pourcentage significatif du prix de l’électricité payé par les ménages (plus de 18%)[10].

  1. Les faibles prix des droits d’émission de CO2

L’Observatoire met également l’accent sur le trop faible prix des droits d’émission de CO2, ce qui n’incite plus les industriels à investir dans les technologies n’émettant pas de gaz à effet de serre. Ces cinq dernières années, les prix des certificats de CO2 ont baissé d’environ 20 €/tCO2 en 2007 à moins de 5 €/tCO2 en août 2013. Ce niveau ne permet pas de rentabiliser les installations de Capture et de Sde CO2 (CSC) pourtant nécessaires. En effet, il faudrait un prix de 40-55 €/tCO2 pour rentabiliser une installation CSC sur une centrale au charbon et de 80-110 €/tCO2 pour la même installation sur une centrale au gaz[11].

  1. Les “Utilities” sous une forte pression financière

Les prix de l’électricité sur les marchés de gros ont baissé (-8% en 2012 par rapport à 2011) et ont connu par moment des comportements erratiques. Ainsi, les pics de prix aux heures de pointe ont baissé en moyenne et des pics de prix négatifs ont été observés durant plus de 70 heures en 2012 en Europe.
Par conséquent, le chiffre d’affaires des Utilities baisse de façon structurelle comme l’a souligné récemment le PDG de l’énergéticien allemand RWE, Peter Terium « 80% du chiffre d’affaire de l’Entreprise aura disparu dans 2-3 ans ».
De plus, les marges opérationnelles des « Utilities » se détériorent à cause de la baisse de la rentabilité des moyens de production, l’augmentation des surcapacités, la stagnation de la consommation et la croissance des taxes. L’ensemble de ces facteurs les met dans des situations financières contraignantes.

  1. Les investissements critiques sont menacés

Les Utilities doivent investir à long terme pour assurer la sécurité d’approvisionnement tout en restant compétitives. Ces investissements incluent le remplacement des centrales électriques qui ferment comme les centrales au gaz et les anciennes centrales au charbon[12]. Ils comprennent aussi la construction de nouveaux réseaux électriques de transport – dont le temps de construction est long (entre 5 et 10 ans) – notamment pour mettre en œuvre les politiques de transitions énergétiques. La totalité des investissements dans les infrastructures électriques et gazières est évalué à au moins 1 000 milliards d’euros d’ici 2020[13]. Compte tenu de cet environnement incertain tant du point de vue réglementaire qu’économique et de la situation difficile des Utilities, l’Observatoire redoute que ces investissements critiques ne se réalisent pas.

Les mesures préconisées pour l’Europe par l’Observatoire
Le fonctionnement des marchés de l’énergie doit être repensé de façon urgente. Il faudrait notamment doter le système d’échanges des quotas d’émission de CO2[14] d’une régulation adaptée aux conditions de marché ou bien introduire un prix plancher pour la tonne de carbone comme cela existe au Royaume-Uni (16 £/t).
Il conviendrait également de créer des marchés de capacités[15] coordonnés au niveau européen.
Il faudrait aussi concevoir et mettre en place un nouveau modèle de marché de détail permettant de rémunérer les investissements dans les réseaux intelligents.
Toujours selon l’Observatoire, il serait nécessaire de définir un rythme de croissance raisonnable des énergies renouvelables permettant de limiter l’augmentation des subventions associées.

Experte mondiale du secteur de l’Energie et des  Utilities chez Capgemini, Colette Lewiner estime que : « La situation actuelle constitue une vraie menace pour la sécurité d’approvisionnement énergétique en Europe. Les centrales au gaz qui permettent de faire face aux pics de consommation ferment massivement. D’autres marges de sécurité diminuent aussi, par exemple les volumes de gaz stockés dans les réservoirs souterrains pour l’hiver sont nettement plus bas que les années passées. Cette situation pourrait conduire en cas d’hiver rude à de réelles difficultés d’approvisionnement et d’équilibrage du réseau en Europe. De plus, le niveau croissant des ENR dans le mix énergétique et un prix des droits d’émission de CO2 beaucoup trop bas, provoquent des chutes de prix et mettent les Utilities sous une très forte pression. »

A propos de l’Observatoire Européen des Marchés de l’Energie (OEME)
L’Observatoire Européen des Marchés de l’Energie est une publication annuelle de Capgemini qui a pour objectif de suivre les principaux indicateurs des marchés de l’électricité et du gaz, de surveiller l’équilibre entre l’offre et la demande, de mesurer les progrès dans l’établissement d’un marché ouvert et concurrentiel dans les 28 pays de l’Union européenne (+ la Norvège et la Suisse) ainsi que d’observer l’évolution des indicateurs (3×20) de lutte contre le changement climatique à l’horizon 2020. Cette 15è édition, bâtie en majorité à partir de données publiques combinée à l’expertise de Capgemini sur le secteur énergétique, fait référence aux données de l’année 2012 et de l’hiver 2012/2013. Une expertise spécifique sur la politique énergétique européenne ; la situation financière des Utilities et la performance de ce secteur ; et la mobilité des clients est produite respectivement par CMS Bureau Francis Lefebvre, Exane BNP Paribas et VaasaETT Global Energy Think Tank.

A propos de Capgemini
Fort de plus de 125 000 collaborateurs et présent dans 44 pays, Capgemini est l’un des leaders mondiaux du conseil, des services informatiques et de l’infogérance. Le Groupe a réalisé en 2012 un chiffre d’affaires de 10,3 milliards d’euros. Avec ses clients, Capgemini conçoit et met en œuvre les solutions business et technologiques qui correspondent à leurs besoins et leur apporte les résultats auxquels ils aspirent. Profondément multiculturel, Capgemini revendique un style de travail qui lui est propre, la « Collaborative Business ExperienceTM », et s’appuie sur un mode de production mondialisé, le « RightshoreTM ».

RightshoreTM est une marque du groupe Capgemini[1] ENR : Energies Renouvelables [2] AIE: Agence internationale de l’Energie [3] Depuis le début du 21ième siècle, la production de gaz de schiste aux Etats-Unis a augmenté de façon spectaculaire. En 2000, elle représentait seulement 2% de la production de gaz des Etats-Unis. En 2012 ce pourcentage a atteint 34% et devrait croitre à 50% en 2040. [4] Les prix du gaz aux Etats-Unis sont environ trois fois moins élevés que les prix des contrats d’approvisionnement long terme en Europe. [5] Environ 600 000 nouveaux emplois industriels ont été crées en plus du million d’emplois directs lies à l’exploitation des gaz et pétroles de schiste. [6] Par exemple en Allemagne en 2012, le taux d’utilisation moyen des centrales au charbon s’est situé entre 43% et 71% ; un bien meilleur taux d’utilisation que celui des centrales au gaz (voir ci-dessus). [7] IHS est une société d’informations internationale dotée d’experts de renommée mondiale dans les secteurs de l’énergie, de l’économie, des risques géopolitiques, de la durabilité et de la gestion de l’approvisionnement. [8] Etude IHS de mai 2013 [9] EEG Taxe pour la promotion des ENR en Allemagne [10] En France ce pourcentage est de 10% [11] Estimations de ZEP « Zero Emission Platform » [12] Directive Grandes Installations à Combustion : adoptée en 2001 pour mise en œuvre en 2015 [13] Estimation de la Commission Européenne [14] SCEQE : Système Communautaire d’échanges de Quotas d’Emission (le marché européen où les droits d’émission de CO2 et d’autres Gaz à Effet de Serre sont échangés) [15] Les marchés de capacité rémunèrent la disponibilité de la capacité installée et l’effacement.