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L’industrie gagnée par la révolution du cloud

François Calvignac
8 juin 2022

Contrairement à d’autres secteurs qui se sont très vite emparés du cloud, l’industrie s’est d’abord montrée circonspecte.

Cela peut s’expliquer par des cultures ou des technologies qui, à certains égards, sont diamétralement opposées.

Quand l’industrie est le monde du concret, du terrain, du local, le cloud apparaît comme celui de l’immatériel, du diffus, du global. Quand l’industrie valorise la rigueur, la méthode, la planification, le cloud revendique au contraire l’agilité, la modularité et les solutions à la demande. De plus, les environnements industriels sont déjà très performants et extrêmement optimisés. Les retours sur investissement doivent être minutieusement justifiés et on hésite avant d’engager un changement susceptible de dérégler cette belle mécanique. Pendant un temps, concernant le cloud, la prudence a donc été de mise.

La donnée, réponse aux enjeux émergents

Cependant, l’industrie fait aussi face à des enjeux grandissants devant lesquels les systèmes existants montrent leurs limites : aller plus loin dans la productivité et la réduction des coûts, intégrer de nouvelles exigences réglementaires et environnementales, se plier à l’évolution des modèles d’affaires vers davantage de personnalisation et de services, pouvoir s’adapter à des crises successives et à de brusques retournements de tendances… Face à cela, la seule possibilité pour retrouver des marges de manœuvre opérationnelles et financières est de collecter et traiter toujours plus vite des données toujours plus abondantes et plus variées. Qu’il s’agisse d’IoT, de jumeau numérique, d’automatisation ou de toute autre solution estampillée Industrie 4.0, la donnée devient le principal carburant de l’efficacité industrielle.

Ce besoin de travailler massivement la donnée a fait tomber les barrières, d’abord entre l’OT et l’IT, puis, désormais, entre l’usine et le cloud. La convergence IT/OT, la notion de « edge » véritable passerelle dans l’usine vers le cloud encouragent chacun à se projeter ensemble. Selon une étude d’IoT Analytics de mars 2021, près d’un tiers des industriels interrogés envisageaient ainsi de porter leur Manufacturing Exécution System (MES) dans le cloud dans les deux ans. Certes, ils y sont incités par l’émergence d’une offre abondante de la part des éditeurs de progiciels industriels qui proposent leurs solutions en mode SaaS, des fournisseurs d’équipements qui leur adjoignent des plateformes cloud (Siemens Mindsphere, Schneider Aveva…) et des grands opérateurs de cloud, qui créent des solutions pour connecter l’usine au cloud (Azure IoT Edge, AWS Greengrass…). Mais cet intérêt des industriels n’est pas dû à la mode ou aux sirènes du marketing. Ce qu’ils voient avant tout, ce sont les bénéfices concrets que peut leur apporter le cloud.

Les multiples bénéfices du cloud

Tout d’abord, le cloud, c’est pour l’industriel la possibilité d’exploiter leurs données grâce à des capacités (de calcul, de stockage) et des outils (d’analyse, d’optimisation, de modélisation, de simulation) sans commune mesure avec ce qu’ils pourraient mettre en œuvre chez eux. C’est aussi la possibilité de bénéficier des mises à jour et des dernières innovations, et de les déployer aisément et sans attendre. Mais au-delàs du pur aspect IT, ce sont surtout des nouveaux outils pour conduire et optimiser les opérations. Dans les grands groupes, c’est par exemple un moyen d’homogénéiser et de standardiser les solutions, les modèles de données, les indicateurs communs et automatiques, et, à travers eux, les pratiques. Cette harmonisation peut en outre permettre de consolider ou comparer les données pour élargir les possibilités d’analyse. Enfin, les solutions en SaaS permettent de réduire les ressources techniques et humaines nécessaires localement, et leur comptabilisation en dépenses opérationnelles (OPEX) permet de concentrer les investissements sur le cœur de métier.

Ces nombreux avantages ne condamnent pas pour autant toutes les applications métiers « on premise » (MES, GMAO, LIMS…), dont beaucoup ont vocation à conserver un rôle clé sur les processus critiques ou difficiles à faire évoluer en raison, par exemple, du poids des exigences réglementaires et normatives. Il faut plutôt voir ces deux univers comme complémentaires, le cloud renforçant les capacités des applications existantes que ce soit pour améliorer leurs performances, leur disponibilité ou leur capacité d’analyse. Par exemple, le calcul du TRS (taux de rendement synthétique) est généralement dévolu au MES, mais une plateforme de données cloud peut permettre, grâce à l’intelligence artificielle, d’en expliquer les facteurs et d’en déduire des réglages machines optimums.

Cette complémentarité entre les équipements IT et OT de l’usine, et les ressources disponibles dans le cloud peut donner lieu à d’innombrables cas d’usage : maintenance prédictive, ajustement dynamique de la production, optimisations des procèdes… Grâce à la détection des pannes sur une machine à grande vitesse et à l’optimisation de ses réglages en fonction des conditions de température et d’humidité, Capgemini a ainsi permis à un industriel d’économiser 500 k€ par an et par usine en réduisant les arrêts de production et les pertes matière. Ailleurs, c’est l’optimisation du profil thermique des fours qui a permis de réduire de façon significative la consommation d’énergie tout en maintenant la qualité de la production.

Une démarche métier, pas technologique

Ces exemples illustrent les bénéfices que les industriels peuvent tirer du cloud, mais aussi la façon de les obtenir : avant toute chose, la démarche doit être métier, précisément ciblée, la technologie ne venant que dans un second temps. C’est pourquoi, pour s’engager sur la voie du cloud, la priorité sera de mettre en place une organisation ad hoc, qui sera chargée de mener la réflexion, d’établir une feuille de route aux objectifs clairs, et de fédérer et d’aligner les éventuelles initiatives locales. Cette approche permet, en outre, d’éviter de devoir adapter ou limiter son besoin opérationnel s’il est défini après l’architecture et de subir la technologie, alors qu’elle doit être porteuse de solution. Subordonner la technologie à la vision, c’est au contraire se donner la possibilité de choisir, pour chaque projet, la meilleure option, en particulier la répartition des tâches entre Edge et Cloud dans une architecture miroir, garante tout à la fois de la performance, de la sécurité et de l’évolutivité.

Enfin, cette réflexion ne doit pas omettre la dimension humaine, fondamentale. L’arrivée du cloud va profondément impacter les lignes, le travail des opérateurs et celui des managers. Il faut se préparer à ce changement et l’accompagner pour que le personnel, à tous les niveaux, s’approprie ce nouvel outil et en tire le meilleur parti. Par exemple, la mise en place de solutions de « Virtual commissionning » qui permettent de s’affranchir de l’adhérence aux équipements pendant la conception de l’usine, diminuent les délais de mise en production en tirant le plus grand bénéfice des capacités de calcul, simulation et stockage des architectures hybrides. Ce type d’approche, encouragé par les méthodes agiles et le DevOps, bouscule les certitudes des équipes chèrement acquises par l’expérience. Un autre des avantages du cloud est qu’il est facilement extensible. Dans cette perspective de conduite du changement, on peut donc commencer modestement, de manière à familiariser toute l’entreprise avec la démarche et les outils, avant de les généraliser. À l’occasion de ces projets à petite échelle, la logique sera toutefois davantage celle d’une preuve de valeur (POV) plutôt que de concept (POC). Car, dans l’industrie plus encore qu’ailleurs, l’objectif n’est pas que ça marche, mais que ça rapporte.